Ur S6 : Première de cordée
Le fameux 5 cylindres turbo, une spécificité technique Audi depuis plus de 40 ans, a souvent accompagné les modèles les plus charismatiques du constructeur aux anneaux. Mais aussi, et c’est moins connu, la toute première A6 « type C4 », au point de la muer pour la première fois en une turbulente S6. Une « Ur » S6 !
Par Joseph Bonabaud, photos Thomas Riaud
En bref
Déclinaison sportive de la première A6
Succède à la 100 S4 (2.2turbo 220 ch) produite de 1992 à 94.
Moteur 2.2 turbo 20v 230 ch, bvm 6.
Production de 1995 à 1997 à 6955 exemplaires
Au début des années 90, Audi aborde l’avenir avec confiance et sérénité, galvanisé par le triomphe de sa révolutionnaire quattro en championnat du monde des rallyes. En l’espace de moins de 10 ans, Audi est quasiment passé du statut de marque de second plan, à celui de constructeur bankable. Une prouesse que l’on doit au flair et à la détermination du génial Ferdinand Piëch, alors aux commandes de la destinée de la marque depuis le milieu des années 70, qui espère bien surfer sur cette tendance. Pour confirmer l’essai, Piëch conserve BMW et Mercedes dans sa ligne de mire, et il sait que c’est en multipliant les modèles d’image, mais aussi sportifs, qu’il parviendra à atteindre son objectif. L’offensive se fait sur plusieurs segments. Dans le très haut de gamme bien sûr, avec l’Audi V8 (1988), première rivale directe des BMW Série 7 et Mercedes Classe S. Mais la stratégie de Piëch tourne essentiellement autour de l’exploitation du fameux 5 cylindres « turbo » qui a déjà tant fait pour la bonne réputation de la quattro.
Cela passe par la commercialisation d’un nouveau coupé remplaçant la vénérable Ur quattro, la S2 (230 ch), mais aussi par le lancement en 1994 de la surprenante RS2, le 5 cylindres étant ici carrément revisité par Porsche (315 ch). L’année suivante, Audi va glisser son moteur sous le capot de sa toute nouvelle A6, la première du genre, un modèle qui hélas ressemble comme deux gouttes d’eau à… la dernière 100 ! Ceci est d’ailleurs tellement troublant que la nouvelle A6 pourrait passer pour un léger restylage de l’Audi 100. Pour ajouter à la confusion, Audi proposera deux versions de la S6. Une atmosphérique avec un inédit et fantastique V8 4.2 (baptisée « S6 Plus »), et une simple S6 avec un « turbo » dotée, pour la dernière fois, du bon vieux 5 pattes 20 soupapes maison. Avec sa puissance culminant à 230 ch, elle succède ainsi à l’Audi 100 S4 (2.2 turbo 220 ch). Une particularité technique qui lui vaudra, en Allemagne, le surnom de Ur S6, clin d’œil à la mythique quattro par qui tout a commencé. Pour voir de quoi il retourne nous avons justement la chance d’avoir à disposition un sublime exemplaire de 1996, resté dans son jus d’origine…
Le ramage plus que le plumage
Forme lisse et épurée, tout en sobriété, la nouvelle A6 en impose par sa taille respectable (4m80 de long), mais elle fait dans le consensuel et creuse un peu plus le sillon de sa devancière, l’ultime Audi 100 partie tout juste à la retraite. Les différences extérieures sont si minimes que l’on a l’impression d’avoir affaire à la même voiture, chose un peu incompréhensible de la part d’Audi qui cherche justement à rajeunir son image. Vouloir assurer une continuité stylistique d’un modèle à l’autre, c’est bien, mais pas à ce point ! Pourtant, au-delà de son conformisme esthétique déroutant, cette première A6 est bien toute nouvelle, en berline comme en break Avant. Pour marquer son attachement à la sécurité, la transmission intégrale quattro est bien sûr livrée avec les versions performantes, mais tous les modèles bénéficient d’un airbag conducteur et de l’ABS, chose encore rare dans la catégorie à l’époque. La S6 bénéficie même d’un airbag passager et propose, en option, un placage en carbone véritable, comme dans la RS2. Notre exemplaire a préféré jouer la carte du classicisme bourgeois en adoptant des inserts en bois précieux, mais la sportivité est bel au bien au rendez-vous grâce à une instrumentation à fond blanc (comme sur les S2 et RS2), un logo « S6 » incrusté sur le volant et des sièges très enveloppants. Même si ces derniers sont en tissu (cuir optionnel), on a clairement la sensation d’être à bord d’une voiture de standing, la qualité de fabrication ne méritant que des éloges. C’est bien simple, 25 ans après, rien n’a bougé, la finition restant toujours de très haut niveau. Ajuster sa position de conduite se fait sans effort, signe d’une ergonomie bien étudiée, et sous ma main droite « tombe » idéalement le pommeau du levier de vitesses. Un levier commandant une boîte à 6 rapports, une autre singularité propre à la S6, signe que nous sommes bien à bord d’un modèle à part né sous le signe de la sportivité…
The voice
Au ralenti, rien ne laisse présager que l’on est à bord d’une sulfureuse S6. Pourtant, en s’élançant sagement, sur un filet de gaz, « mon » S6 commence à chanter gentiment et à s’échauffer la voix pour jouer sa partition, une mélodie qui me vient facilement à l’oreille par l’ouverture du toit ouvrant optionnel. Et la lecture des compteurs me met l’eau à la bouche, avec une zone rouge débutant à 7000 tr/mn, tandis que je vois avec gourmandise un généreux 280 km/h affiché pour la vitesse maximale. Tout ceci est probablement un brin optimiste, mais c’est de bon augure pour la suite ! La suite, c’est maintenant, en écrasant l’accélérateur.
Sans coup férir, la S6 réagit au quart de tour et s’élance à l’assaut de la route. La transmission quattro fait le job, en distribuant avec efficacité toute la puissance disponible sur les 4 roues. Alors certes, 230 ch, cela peut, de nos jours, sembler bien modeste, mais les voitures, même de ce standing, n’étaient pas obèses comme celles d’aujourd’hui. Ici, le poids est annoncé à seulement 1490 kg, ce qui génère un cercle vertueux. Car moins de poids à déplacer, c’est de meilleures reprises, mais également une agilité accrue qui profite au comportement dans les virages. De belles dispositions misent en exergue par l’excellente santé de ce moteur volontaire au timbre si particulier. Quelle sonorité ! Il offre assurément l’une des meilleures bandes son du marché automobile, et sa seule présence justifie à acheter cette S6 ; Clairement, il lui donne son âme, et son peps aussi, en dispensant de belles accélérations, l’exercice du 0 à 100 km/h étant sous la barre des 7 secondes.
Mais le meilleur est que tout le reste est à l’avenant. Clairement, cette Audi au physique quelque peu discret n’a pas qu’un bel intérieur et son moteur de feu à offrir. En la sollicitant, je me rends compte qu’elle vire à plat avec maestria dans les courbes et virages, bien servie par une direction assistée précise et directe. Rien à dire non plus pour le freinage puissant et endurant assuré par 4 disques, ni pour le guidage et le verrouillage de la boîte de vitesses à 6 rapports, qui participe beaucoup au plaisir de conduite. Seul l’amortissement, un poil trop ferme à mon goût pour limiter le roulis malgré une monte pneumatique de 16 pouces encore raisonnable mériterait un autre calibrage. Sur ce point, on voit bien les immenses progrès accomplis par Audi. En revanche, il est rassurant que certains fondamentaux demeurent, comme une finition irréprochable, une ergonomie soignée et… ce fameux 5 cylindres turbo, toujours en service, qui n’a pas encore dit son dernier mot !
L’avis d’Avus
Franchement, sans savoir ce à quoi on a affaire, on pourrait, pour un peu, passer devant sans même la remarquer. Ce serait dommage, et même gâcher, car cette méconnue Ur S6 est une Audi intéressante à plus d’un titre. Elle a vraiment permis au 5 cylindres 20v original de jouer les prolongations jusqu’en 1997, et permettait de profiter une dernière fois de ce moteur qui a marqué l’histoire. Au-delà de cet aspect historique, cette S6 « turbo » de la première heure est devenue une vraie rareté, puisqu’elle n’a été produite qu’à 6955 exemplaires. En cherchant bien, il devrait bien y en avoir une pour vous…
On aime
Vraie rareté !
Association moteur-boîte
Qualité de fabrication
Performances, agrément de conduite
Discrétion assurée
Cote encore attractive
On aime moins
Ligne fade
Lacune d’équipement
Amortissement perfectible
Rare en bel état d’origine
Caractéristiques techniques : Audi Ur S6 (1996)
Moteur : 5 cylindres turbo, 20v, longitudinal, 2226 cm3
Puissance (ch à tr/mn) : 230 à 5900
Couple (Nm à tr/mn) : 357 à 1950
Transmission : aux 4 roues (quattro avec Torsen)
Boîte : mécanique à 6 rapports
L x l x h (en m) : 4,80 x 1,81 x 1,43
Pneumatiques : 225/50 ZR 16 (AV et AR)
Poids à vide (kg) : 1490
0 à 100 km/h (sec) : 6,9
Vitesse maxi (km/h) : 236
Cote 2021 : 12 000 € environ