Les 24 H du Mans, de par sa fureur, sa vitesse, son suspense parfois haletant, ses légendes, ses bolides hauts en couleurs taillés pour fendre les airs ont, depuis un siècle maintenant, inspirés de nombreux artistes. Parmi eux se distingue particulièrement François Bruère, peintre officiel des 24 H du Mans. Rencontre avec l’artiste…
Texte et photos Thomas Riaud
Le geste est vif, sûr, rapide et précis. Je ne parle pas d’un pilote en train de négocier les virages de Mulsanne, mais plutôt de François Bruère, 63 ans, peintre officiel des 24 H du Mans depuis près de 30 ans, en train d’exécuter sa prochaine œuvre mettant en scène une hypercar. Il me fait l’amitié de me recevoir dans sa maison du Mans, dans sa partie « atelier », en fait, un coin du salon annexé par ses soins depuis bien longtemps, sous l’œil complice de son épouse. « J’ai installé ici ma table à dessin, car juste au-dessus il y a un puit de lumière naturelle, très utile pour bien percevoir les dégradés et autres nuances ». La lumière, un élément clé intimement lié à la magie de la photo, laissant apparaître toute la profondeur, noirceur et les détails d’une scène prise sur le vif, tout comme pour les œuvres picturales nées de l’imagination fertile des peintres. Et François Bruère, de l’imagination, il n’en manque pas, bien qu’il dessine encore et encore des voitures de course liées à la légende du Mans, sans avoir pour autant l’impression de tourner en rond! Il faut dire que, sans galvauder l’expression, il est tombé dedans tout petit.
› François Bruère peut se targuer d’un titre rare : il est «peintre officiel des 24 H du Mans» !
« Je suis né au Mans et ça fait bien longtemps maintenant que j’habite à deux pas du circuit. Durant l’épreuve, je peux entendre les moteurs des voitures depuis mon jardin ! Et puis mon père a joué un grand rôle en me transmettant la passion de l’automobile. Dans le cadre du « plan Marshall mis en place après-guerre, il est parti aux USA en 1951 et en a ramené le goût des belles américaines, vraiment incroyables avec leurs formes opulentes, leurs chromes étincelants et leurs coloris vifs. Elles dénotaient dans le paysage automobile français de l’époque, sans parler de leurs dimensions XXL ! Mon appétence pour les voitures a sans doute commencé comme ça. Cela s’est traduit par des esquisses dans les marges de mes cahiers, ce qui plaisait moyennement à mes professeurs, puis à la participation dès l’âge de 8 ans à un concours de dessin… que j’ai remporté, en mettant en scène une voiture bien sûr ! ». Après, comme se plaît à le rappeler François, les planètes se sont alignées…
› Outre les autos des 24 H du Mans, François peut aussi réaliser à la demande des commandes spéciales, comme cette superbe reproduction d’un Ur quattro mis en scène à Montlhéry.
« Dans les années 70, il n’y avait pas encore l’esprit « collection » dans le monde automobile, et j’ai participé en tant que pionnier à la première édition de Rétromobile, où j’ai fait ma première exposition de tableaux. J’étais encore étudiant aux Beaux-Arts et je m’apprêtais à entrer à l’Ecole Supérieure des Arts Appliqués de Paris, grâce au soutien de mes parents. Cette expérience m’a permis de rencontrer de vrais passionnés qui, enthousiastes à la vue de mon travail, ont pu m’introduire dans le cercle de personnes influentes dans le monde de l’automobile. C’est comme cela que j’ai pu produire des œuvres originales sur des autos d’exception et de compétition, assez pour envisager d’aller exposer au Japon une série inédite sur « l’Asian Le Mans Series » au circuit du Mont Fuji ».
› De son père, François a hérité le goût des belles américaines des Fifties. Il nous a ouvert son sublime «coffre à jouets» !
Et durant le voyage en avion, le destin m’a mis sur la route d’un certain… Michel Cosson, alors président de l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) de l’époque! « Cette belle rencontre imprévue a vraiment été décisive pour le reste de ma carrière. Dans ce cadre privilégié, il était très disponible et j’ai pu lui présenter mon travail. Séduit, il m’a ouvert de nombreuses portes. Il m’a ainsi donné un accès privilégié aux coulisses de l’épreuve, puis m’a nommé peintre officiel des 24 H du Mans. Un privilège rare ! C’était en 1996. A l’époque, avec un simple badge, tout était plus accessible, les voitures comme les pilotes. J’ai eu la chance de côtoyer de vraies légendes du Mans et tout cela a nourri mon travail ».
50 nuances du Mans
Un travail remarqué et remarquable, qui a permis à François de réaliser des illustrations pour des livres sur la mythique épreuve mancelle commandés par l’ACO, et même de devenir peintre officiel de Harley-Davidson durant 15 ans, ce qui l’a conduit pas moins de 67 fois aux States ! « Je n’ai jamais eu le sentiment de travailler, puisque j’ai eu la chance de vivre ma passion et d’en vivre. Pourtant, mes débuts furent laborieux. Je me souviens avoir terminé ma première grosse commande dans les couloirs de la maternité, lors de l’accouchement de ma femme. Et faute d’avoir à l’époque une voiture, je livrais mes tableaux en faisant… du stop ! C’est incroyable quand j’y repense ». Le second coup de chance de François Bruère sera de trouver rapidement « sa patte », ce qui fait que l’on reconnaît de loin, au premier coup d’œil, une de ses œuvres, sans même avoir besoin de lire sa signature.
« C’était une peinture de moto. Le sujet principal était en couleur, et tout le fond en sépia. Ce tableau a énormément plu au public et j’ai recommencé avec le même succès avec un bolide du Mans. Cela fait désormais plus de 40 ans que la magie opère et j’adore peindre comme cela ! ». A chaque fois, comme un rituel immuable, François va mettre en place le fond, son décor qui va soutenir la voiture, puis effectuer différents croquis pour poser les « ingrédients ». Et une fois la composition fixée, notre homme va utiliser un papier pressé très épais de 4 mm ultra-lisse en surface, permettant d’obtenir de vraies subtilités pour les reflets, la brillance et la transparence. Vient le moment fatidique de se saisir enfin de son inséparable crayon ultrafin de 0,3 mm pour reproduire, à partir d’une photo, la voiture choisie sous un angle défini. Et forcément, qui dit « Le Mans » dit « Audi », le constructeur ayant durablement marqué de son empreinte les 24 H, en remportant pas moins de 16 fois l’épreuve. Une appétence de la part d’Audi en LMP1 sous l’ère bénie de Piëch, qui explique pourquoi on retrouve de nombreux bolides aux Anneaux sur les œuvres de François. Mais qu’il s’agisse d’Audi ou de protos concurrents, le travail demeure toujours le même.
« Après l’encrage, puis la mise en couleur à l’aquarelle, vient la mise en lumière, élément de carrosserie par élément. Je dois être très précis et fais cela au pinceau et à l’aérographe ». Il en ressort des scènes très détaillées, hyperréalistes, de véritables « arrêts sur image » dignes de photos semblant être prises sur le vif. « A la manière d’un Géo Ham, qui reste pour moi une référence absolue, je veux que mes images racontent des histoires, le plus fidèlement possible. Avant de commencer une œuvre je réalise toujours un vrai travail « d’enquêteur » pour ne rien oublier, y compris les sponsors habillant les carrosseries. Tout cela est long, très long, chaque tableau original réclamant près d’un mois de travail. Je n’en produis que 10 à 15 par an ». Un travail « dé-Mans » à découvrir chaque année pendant l’épreuve mancelle sur son vaste stand, ou lors des nombreuses expositions réalisées à l’occasion des grands salons automobiles européens…
› Vous aurez de grandes chances de croiser François Bruère exposer ses œuvres dans les plus grands salons automobiles… et durant les 24 H du Mans bien sûr !
François peut immortaliser votre auto sur demande, même si elle n’a pas participé aux 24 H du Mans. Comptez de 3000 à 10 000 € pour une œuvre originale selon format.
Infos au www.orpheograff.com