Du grand art au Dakar
Ca y est : Audi s’est enfin imposé au Dakar ! Une victoire arrachée sur l’ultime étape, avec un Sébastien Loeb en embuscade jusqu’au bout. Retour sur les temps forts de l’une des dernières grandes aventures humaines et techniques…
Par Joseph Bonabaud, photos DR
Partout, Audi sport a su laisser son nom sur la plus haute marche du podium, dans des disciplines phares. Après le rallye en Groupe B, puis des records sur la piste de Pikes Peak, les victoires sur les circuits en IMSA, en supertourisme et DTM, mais aussi en Endurance au Mans, il ne manquait plus que le rallye-raid. Et quitte à s’engager, Audi n’a pas fait les choses à moitié en visant carrément une victoire au Dakar ! Un sacré challenge lorsque l’on est complétement étranger à cet univers pour le moins hostile, tant pour les hommes que pour les mécaniques. Car mine de rien, un Dakar reste, au 21ème siècle, une véritable aventure ponctuée d’aléas divers et variés. Avoir une écurie au top, mais aussi une bonne stratégie et un véhicule performant ne fait pas tout : ici, le facteur « chance » compte également. Audi est bien placé pour le savoir, après deux tentatives infructueuses par le passé. Il faut dire que, comme à l’accoutumée, la marque aux Anneaux n’a pas choisi la facilité puisque, fidèle à sa politique basée sur l’innovation, elle a engagé un prototype électrique hybride « plus propre » d’un nouveau genre. Le RS Q e-tron – c’est son nom – ressemble sur la forme à un gros buggy, mais c’est surtout une sacrée usine à gaz qui embarque pas moins de trois moteurs, deux motorisations électriques principales (une pour le train avant et une autre pour l’arrière), couplée à un générateur thermique (le bloc TFSI de la RS5 du DTM !) pour alimenter les batteries en roulant. De quoi développer un couple instantané, et pas moins de 500 kW, soit l’équivalent de 670 ch, le tout en offrant jusqu’à 800 km d’autonomie.
› Au terme de 8000 km de piste, dont 4500 km de spéciales, Audi s’est imposé au terme de sa troisième participation au Dakar. Une victoire signée par «le matador» alias Carlos Sainz, et la première avec une voiture hybride !
Voilà pour la théorie. Pour la pratique, c’est une autre histoire, car plus une auto est complexe, et plus elle est difficile à mettre au point. Et lourde dans le cas présent. Et de vous à moi, cette technologie encombrante n’est pas la plus adaptée à un rallye-raid comprenant plus de 8000 km de piste sous un soleil de plomb, dont 4500 km de spéciales ! Pour mettre toutes les chances de son côté Audi, qui ne vient évidemment pas faire de la figuration, a recruté une véritable dream-team côté pilotes. Outre Ekström – Emil Bergkvist, Audi a notamment débauché Stéphane Peterhansel (alias « Monsieur Dakar avec 14 victoires à son actif !) et Edouard Boulanger en copilote, et enfin « El Matador » Carlos Sainz, copiloté par Lucas Cruz. Durant son premier engagement, lors du Dakar 2022, Audi viendra surtout pour apprendre et éprouver ses protos… bien fragiles au niveau des trains roulants. Une édition à oublier, malgré quelques podiums encourageants, signe que l’auto est au moins performante lorsqu’elle ne casse pas. Lors de sa seconde participation début 2023, Audi a dû là encore faire contre mauvaise fortune bon cœur suite à de nombreux accidents, malgré une 9ème place au général pour Ekström. C’est honorable, mais loin, très loin, des ambitions d’Audi qui sait que l’Histoire ne se souvient que des vainqueurs. Plus facile à écrire qu’à faire…
Un Dakar dare-dare !
Pour cette troisième et ultime participation au Dakar, Audi a conservé la même technologie innovante mais a sensiblement modifié son proto, au point de le rebaptiser RS Q e-tron E2 (pour Evolution 2). Le parcours, inédit à 70%, traverse l’Arabie Saoudite de la mer Rouge au golfe Persique, et prévoit des étapes de 350 à 500 kilomètres à travers le redouté « Empty Quarter », une zone désertique où s’alignent des dunes à perte de vue ! Dès le départ, donné ce 5 janvier 2024, personne ne donne cher des protos Audi. Pour l’un des favoris, le qatari Nasser al-Attiyah (5 victoires au Dakar) engagé sur un proto Prodrive (identique à celui de Sébastien Loeb), l’affaire semble même entendue en affirmant que « vous verrez, d’ici 3 ou 4 jours, on ne parlera plus des Audi ». Une affirmation bien prétentieuse, car comme chacun sait, rien n’est acquis d’avance dans cette course d’endurance la plus dure au monde, où tout peut basculer suite à la rencontre avec une mauvaise pierre, une erreur de navigation ou une simple crevaison. Les équipages Audi le savent, et c’est avec plus d’humilité qu’ils abordent cette nouvelle édition. Ils n’ont pas droit à l’erreur, cette participation étant la dernière pour Audi et, ce d’autant plus que les hommes qui ont mis au point ces protos travaillent tous désormais à la mise au point de la future Formule 1. D’ailleurs, la devise « Go hard or go home » inscrite sur le casque des équipages ne laisse aucune place à l’improvisation : il faudra batailler fort à chaque étape, ne rien lâcher et tenir sur la durée… pour ne pas rentrer précocement à la maison !
Al Attiyah justement, l’apprendra à ses dépens, trahi à mi-parcours par la fragilité des trains roulants de son proto, laissant Sébastien Loeb et les Audi se battre en tête. Pas bien longtemps, Peterhansel perdant beaucoup de temps suite à un problème de vérin hydraulique récalcitrant. Il aura quand même eu le temps de signer avant une belle victoire d’étape, la cinquantième de sa carrière au Dakar, le hissant au niveau du record d’Ari Vatanen. Respect ! Et puis il y a ces innombrables crevaisons, dans des secteurs jonchés de cailloux coupant comme des rasoirs, qui vont également redistribuer les cartes. Ça n’a l’air de rien une crevaison, sauf qu’il n’y a que 2 roues par voiture, et chacune pèse 45 kg ! Vers les trois-quarts du rallye, à la 9ème étape, Al Attiyah s’est définitivement retiré, son proto Prodrive à bout de souffle (moteur HS) ne pouvant même plus apporter son soutien à Loeb en cas d’avarie. Malgré cette déconvenue, l’alsacien roule dare-dare et fait des miracles. Il parvient à signer quelques 6 victoires d’étapes, pour remonter sur Carlos Sainz, doté d’une confortable avance de près de 1h30…. sans jamais avoir remporté la moindre spéciale ! Comme quoi, « rien ne sert de courir… ». Il reste encore 4 étapes, et rien n’est joué. L’avance de Sainz va fondre petit à petit, jour après jour, Loeb mettant la pression et attaquant sans cesse comme un beau diable… jusqu’à plier un triangle de suspension sur une mauvaise pierre, dans l’avant dernière spéciale !
Débarrassé de Loeb (qui repartira après avoir perdu 1h30 à réparer), Carlos Sainz va gérer sagement son avance, avec le soutien d’Ekström et de Peterhansel en embuscade, prêts à le dépanner en cas de coup dur. Il n’y en aura pas, le vétéran El Matador remportant à 61 ans son 4ème Dakar, une performance le hissant au niveau d’Ari Vatanen. Accessoirement, il offre ainsi à Audi sa première victoire dans cette épreuve mythique, permettant au constructeur aux Anneaux d’écrire un nouveau chapitre dans son Histoire déjà bien riche. Le belge Guillaume De Mevius (Toyota) monte sur la seconde marche du podium, et malgré une dernière victoire d’étape, Sébastien Loeb doit se contenter d’une troisième place au général. Avec cette victoire méritée, Audi prouve que sa fameuse « avance par la technologie » n’est pas qu’un simple slogan marketing. Espérons que la marque aux Anneaux connaisse le même succès en Formule 1, son prochain challenge sportif disputé au plus haut niveau, qu’elle abordera en 2026…