Après avoir essayé une Audi R8 V10 on pense avoir touché du doigt le Nirvana automobile. A tort… Car il suffit de sauter dans le baquet de son dérivé compétition, la redoutable LMS GT4, pour mesurer à quel point il y a encore mieux à piloter !
Par Thomas Riaud, photos Tibo
En bref
Version LMS GT4 de la R8
Réservée au circuit pour la « compétition client »
Moteur V10 5.2 litres de 495 ch
Prix HT : 198 000 €
Aujourd’hui, je suis dans un bon jour. J’ai la chance de prendre le volant de la confidentielle R8 GT, la dernière supercar thermique produite par Audi (à 333 exemplaires pour le monde) qui met fin à une fabuleuse parenthèse ouverte en 2006 sous la volonté du regretté Ferdinand Piëch. Ce bon docteur Piëch n’a pas connu de son vivant cette ultime version GT, mais il aurait sans nulle doute validé les choix techniques faits, lui qui en plus d’être un brillant ingénieur était connu pour aimer les grosses cylindrées et avoir un bon coup de volant. Pensez donc, une R8 dotée d’un V10 5.2 atmosphérique de 620 ch, proposée uniquement en propulsion pour gagner en mobilité du train arrière et augmenter le plaisir de conduite, il y a de quoi saliver ! Et justement, j’ai la chance d’être en ce moment à son volant, de surcroît sur le sublime tracé vallonné et très technique de Pau-Arnos, et je dois dire que je suis… vraiment déçu ! Je trouve que l’auto est réglée bien trop souple en amortissement, et cherche ses appuis en virage. Pire, elle plonge même au freinage ! Pour ne rien arranger, ce freinage paraît mou et spongieux, en manquant singulièrement de mordant à l’attaque de la pédale. Quant aux accélérations, ça pousse certes, mais pas de façon prodigieuse.
Bref, pas terrible du tout cette R8 GT ! Ca y est, je sens avoir perdu plus de la moitié de mes lecteurs, les autres préparant un bûcher pour me faire expier mon blasphème ! Que s’est-il passé pour critiquer aussi sévèrement la R8 GT, qui a été pourtant encensée unanimement par mes confrères de la presse automobile ? Et bien disons qu’ils n’ont pas eu, comme votre serviteur, le privilège d’essayer – juste avant cette GT sur le même circuit – la R8 LMS GT4. Bien que 60% des pièces utilisées soient communes entre une R8 GT destinée à la route et cette variante radicale réservée à la compétition sur circuit, il existe un monde entre ces 2 voitures. Un gouffre même, qui fait méditer sur la relativité des choses. Les 40% de pièces spécifiques à la LMS font- croyez-moi, toute la différence. Un peu comme si vous passiez, pour bien comprendre, d’une A6 Avant TDI à une RS6. Ca ressemble vaguement dans les 2 cas à un paisible break familial, mais vous êtes pourtant en présence de modèles diamétralement différents. Démonstration…
› La R8 V10 de route partage 60% de composants avec une R8 LMS de course. Ces 40% font toutes la différence, et elle est énorme !
La gueule de l’emploi
En découvrant « ma » R8 LMS GT4, j’ai fatalement un petit pincement au cœur, tant cette ponceuse à bitume a de quoi intimider. Clairement, on n’est pas du tout en présence d’une R8 « normale » vouée aux joies du Grand Tourisme. Impressionnante – intimidante même – cette R8 LMS (Le Mans Série) développée pour la piste (et bien sûr interdite de circulation sur route ouverte), semble collée au sol tant elle est basse. On voit bien que l’aérodynamisme a été au cœur des préoccupations de ses géniteurs, de nombreux appendices inexistants des modèles de série ayant pris possession de la carrosserie, dans le seul but d’augmenter l’appui. Outre des flaps intégrés aux flancs du bouclier avant – qui prend pour les circonstances des airs de « pelle à tarte » tant il dispose en plus d’un important spoiler, l’arrière coiffé d’un immense aileron en carbone réglable impressionne encore davantage avec son grand extracteur d’air. Clairement, j’imagine que même quelqu’un ne connaissant absolument rien aux voitures, juste en voyant un tel bolide, comprend d’emblée qu’il est en présence d’un sacré engin, tant cette R8 a la gueule de l’emploi. Et encore, vous n’avez pas vu l’intérieur…
Oubliez l’univers feutré et cossu de la R8 de route. Là, vous plongez en enfer, dans un engin de torture où seule l’efficacité prime. En clair, de la R8 de série ne subsiste que le haut de la planche de bord. Le reste, tout le reste, est spécifique à la LMS, qu’il s’agisse de l’instrumentation digitale, du petit volant rectangulaire constellé de boutons (que l’on peut retirer pour aider à s’installer à bord) ou de la console centrale. Bien sûr, il n’y a plus d’équipements de confort, ni même d’insonorisant, En revanche, pour garantir une sécurité optimale, des sièges baquets très minces et enveloppants (avec harnais 6 points) remplacent avantageusement les sièges électriques en cuir, tandis qu’un arceau-cage tubulaire en acier, véritable cellule de survie en cas de crash, s’invite dans tout l’habitacle. Y compris du tableau de bord au pied-milieu, me barrant ainsi l’accès au baquet. Clairement, pour s’installer avec allégresse, je repasserai ! Pour cela, il faut être pas trop grand, avoir la ligne mannequin et faire preuve de la souplesse d’un chat, et en toute franchise, je crois n’avoir aucune de ces caractéristiques ! Pour ne rien arranger, je dois m’installer en « habit de lumière », comprenez par-là en combinaison de pilote, avec le casque intégral, les gants et le Hans, cet équipement léger et rigide en « U » que l’on a autour du coup, pour éviter tout effet « coup du lapin » en cas d’accident. Reste plus qu’à m’installer : ‘’put… d’arceau !’’
Gentleman, start your engine
Evidemment, ne croyez pas qu’on me lâche comme cela au volant d’un tel engin valant près de 200 000 € HT, équipé de surcroît naturellement de pneus slick, autant dire des savonnettes à froid, mais au contraire de véritables pots de colle dès que montés à température. Une fois sanglé dans mon baquet, on branche mon casque relié à un micro HF afin de pouvoir discuter avec mon instructeur du jour, un pilote confirmé de chez Oreca. Très attentif à ses conseils, je suis la procédure de lancement. Après la mise en tension de la voiture, j’active les pompes à carburant, puis lance le moteur. Quel moteur ! Bien que moins puissant que dans une R8 GT de route (à « peine » 495 ch pour respecter le règlement du GT4), il s’exprime ici sans aucun « filtre », laissant exploser sa hargne dès la mise à feu. Boite auto calée sur « drive », je bascule en première puis m’élance gentiment dans la ligne droite des stands, prêts à vivre l’un des plus grands moments de ma vie de journaliste-essayeur. La voiture hoquette légèrement, signe que rouler en première n’est pas vraiment sa tasse de thé. Mais une fois sorti des stands, je peux enfin lâcher les chevaux. Gaz !
J’y vais bien entendu progressivement, les pneus étant encore froids et la puissance envoyée sur les seules roues arrière. Sachez qu’un antipatinage veille tout de même au grain, ainsi qu’un équivalent de l’ESP, ce qui a de quoi me rassurer, surtout qu’il a plu la nuit dernière et que la piste est encore humide dans les zones ombragées. J’en profite pour me familiariser davantage avec le tracé du circuit, affiner mes trajectoires et soigner mes freinages. Mais je dois composer avec de nouveaux repères tant cette R8, vrai scalpel de l’asphalte, repousse les lois de la physique. Grâce à son poids-plume, de seulement 1460 kg (soit près 200 kg de moins qu’une R8 V10 de route), la LMS GT4 se montre plus prompte à accélérer, plus prompte à tourner et plus prompte à freiner. Bref, plus prompte en tout ! A condition d’avoir saisi le mode d’emploi. Ici, s’il faut être fin avec la direction, ultraprécise, mais aussi avec la remise des gaz, les 550 Nm de couple déboulant sans prévenir, mais au contraire savoir freiner comme un bûcheron, en « tapant » littéralement la pédale des freins, en mettant un maximum de pression.
› Réservée à la compétition-client, la redoutable R8 LMS GT4 est une véritable auto de course, sans concession, réservée à la piste.
Lorsque tout est bien « al dente », le moteur bien sûr, mais aussi la boite, les pneus et les freins, cette R8 vous oblige à réapprendre à conduire. Là où je pense freiner court, en retardant mon freinage (ici on fait du dégressif, et non du progressif afin de s’aménager une marge de sécurité), je me rends compte que j’aurais pu patienter quelques mètres de plus, tant les distances d’arrêt sont courtes. Idem pour les passages en courbe, tant le grip offert par les pneus est dingue ! Croyez-moi, à bord d’un tel engin, si vous parvenez à rouler fort à son volant (ce qui était mon cas), vous parvenez à sentir que votre tête est lourde dans les virages, une sensation étonnante que l’on ne ressent habituellement jamais en voiture de sport sur la route, signe qu’on se prend ici des « G » latéraux. Au bout de quelques tours, je commence à avoir parfaitement en main mon bolide, qui répond au doigt et à l’œil (c’est le cas de le dire, les vitesses étant passées du bout des doigts via des palets solidaires du volant !). A peine roues débraquées en sortant d’un virage, je n’hésite pas à écraser l’accélérateur pour me relancer à l’assaut de la zone rouge (8000 tr/mn), tout en me plaçant pour négocier déjà le prochain virage, qui semble me sauter à la figure tel un diable sortant de sa boite. Gros freinage, rétrogradage, point de corde, filet de gaz, je débraque puis accélère de nouveau à fond et ainsi de suite. Le pied !
Plus je tourne avec cette R8 LMS GT4, et plus je me dis que j’ai encore une immense marge de progression pour en tirer toute la quintessence, ce qui fait toute la différence entre un vrai pilote professionnel et un simple journaliste essayeur, même si, comme moi, rompu aux grosses mécaniques. Et à son volant, j’apprends aussi la relativité des choses. Cette R8 LMS GT4 est mieux, mille fois mieux à piloter que la GT de route sur circuit. Plus épuisante aussi, mais sur le moment, on ne s’en rend pas compte. Et puis avec cet engin du tonnerre, je me rends aussi compte que le temps passe vite, beaucoup trop vite. Sans doute mon instructeur a-t-il senti que je commençais à avoir un bon feeling avec la voiture et qu’il était temps, avant de faire le « tour de trop », de me faire rentrer aux stands. Moteur coupé, volant retiré, harnais détaché, fier comme Steve McQueen j’essaye de sortir avec élégance de mon bolide. C’est raté.’’ Put… d’arceau !’’
L’avis d’Avus
Aussi géniale à conduire et efficace qu’elle l’est en réalité, une R8 calibrée pour la route n’atteindra jamais le niveau de perfection et d’excellence de sa sœur taillée pour un circuit. La LMS GT4 est une autre voiture, totalement différente. Mais d’ailleurs, est-ce encore une voiture ? Avec un tel engin, à l’efficacité diabolique, vraiment d’un autre monde, on doit véritablement retrouver ses repères, tant elle repousse loin, très loin, les lois de la physique. Il faudra juste veiller à ne jamais les dépasser !
« Lorsque tout est bien « al dente », le moteur bien sûr, mais aussi la boîte, les pneus et les freins, cette R8 vous oblige à réapprendre à conduire ».
On aime
Tout !
On aime moins
Prix
Réservée au circuit
Put… d’arceau !
FICHE technique Audi R8 LMS GT4
Moteur : 10 cylindres en V, 5204 cm3
Puissance (ch à tr/mn) : 495 à 8000
Couple (Nm à tr/mn) : 550 dès 1340 tr/mn
Transmission : roues arrière
Boîte : BVA 7 S-tronic
Freins : 4 disques ventilés
Pneumatiques : 305/645 R 18 (AV) – 315/680 R 18 (AR)
L x l x h (m) : 4,49 x 1,94 x 1,23
Réservoir (litres) : 113
Poids à vide (kg) : à partir de 1460
0 à 100 km/h (sec) : NC
Vitesse maxi (km/h) : NC