Quarante ans, le bel âge pour une femme ou un homme, mais déjà un âge respectable pour une entité. C’est le cas d’Audi Sport, une structure née au début des eighties sous le nom de « quattro GmbH » pour les besoins de l’engagement de la marque aux Anneaux au championnat du monde des rallyes qui s’est trouvée rapidement des débouchés sur les modèles de série. Retour sur 4 décennies flamboyantes, en compétition au plus haut niveau comme sur les routes du monde entier : 40 ans de passion !
La rédaction
Audi à l’assaut des sommets
Lorsque l’on est inconnu en automobile, quoi de mieux que de s’engager dans une discipline reine, en compétition ? Un choix stratégique qui sera payant pour la jeune marque Audi, surtout que le constructeur va briller au plus haut niveau grâce à une technologie révolutionnaire…
Par la rédaction, photos archives Avus et DR
Lorsque le jeune ingénieur Ferdinand Piëch se fait débarquer de la direction du service compétition de chez Porsche en 1969 pour intégrer dans la foulée le bureau d’étude d’une jeune marque sans envergure du nom d’Audi, cela est d’abord vécu par l’intéressé comme une punition. Mais le génial Docteur Piëch a non seulement une ambition sans limite et des compétences exceptionnelles en ingénierie (on lui doit notamment le programme 917 de chez Porsche, mais aussi la création du fameux Flat 6 !), mais aussi des dons de fin stratège. Ce qui va lui permettre de gravir rapidement tous les échelons. En intégrant le bureau d’études de la firme aux Anneaux au début des années 70, il est au cœur de la matrice qui va lui donner les moyens de peaufiner ses armes pour prendre sa revanche.
Plutôt que de viser Ford Allemagne ou Opel, Piëch songe d’emblée à BMW ou Mercedes, des marques bien installées plus valorisantes, diffusant des modèles nettement plus rentables. En ce temps-là, Audi est encore peu connu mais dans une bonne dynamique, porté par le succès de la statutaire berline 100, première voiture inédite de la marque, mais aussi et surtout par l’engouement suscité par la nouvelle petite 80, élue « voiture de l’année 1973 ». Celle-ci est porteuse de nombreuses innovations pour sa catégorie, un axe majeur sur lequel Piëch souhaite s’appuyer pour propulser Audi vers des sommets. L’avance par la technologie, en voilà un beau programme ! Mais encore faut-il se donner les moyens à la hauteur de ses ambitions…
› Ferdinand Piëch, artisan du quattro, a su mettre Audi sur les bons rails en engageant d’abord la marque aux Anneaux en rallye. Avec succès !
Valse à trois temps
Cela se fera en 3 temps, avec d’abord la mise au point d’un original moteur 5 cylindres. Ce bloc atypique présente le double avantage d’offrir un encombrement proche d’un compact 4 cylindres – mais aussi une relative sobriété – tout en offrant un agrément similaire à un noble 6 cylindres. Le beurre et l’argent du beurre ! Rapidement, ce nouveau bloc prometteur fera ses débuts en grande série sur la berline 100 de seconde génération, et donnera même dès 1979 un certain prestige à l’inédite 200, grâce à l’apport d’un turbo. Le second acte sera de concevoir et développer un coupé de Grand Tourisme, ce type d’auto étant toujours bonne pour l’image de marque. Bien sûr, ce coupé a d’emblée droit au fameux 5 cylindres maison déjà implanté dans la 200, mais grâce à certaines améliorations, il passe de 170 à 200 ch. Une puissance symbolique plus que respectable à l’orée des années 80 sur une auto de série. Mais pour enfoncer le clou, et donner un avantage décisif à ce nouveau coupé, Piëch aura la géniale intuition de lui greffer une transmission intégrale, chose inédite pour l’époque sur une auto de tourisme (si on fait exception des très exotiques Subaru, cantonnées alors au Japon et aux USA). Vous l’aurez deviné, cela nous conduit à la mythique Audi quattro, dévoilée au Salon de Genève en mars 1980. Une auto tout à fait extraordinaire pour l’époque… sauf que personne ou presque ne la remarque ! Avoir un avantage technologique sur la concurrence, c’est bien, mais encore faut-il le faire savoir au grand public.
› Grâce à la révolutionnaire Audi quattro, la petite marque d’Ingolstadt va vite se faire une place de choix parmis les plus grands et s’installer durablement dans le premium.
C’est le 3ème étage de cette fusée concoctée par le bon Docteur Piëch, qui sait mieux que quiconque les avantages que peuvent procurer un engagement au plus haut niveau en compétition. Pour toucher un large public, Piëch opte pour le rallye, une discipline alors très populaire dans le monde entier qui a l’avantage d’engager des autos assez proches -sur la forme du moins – des modèles de série, chose très importante dans le cas présent l’idée étant – rappelons-le – de faire connaître Audi au plus grand nombre. C’est donc par nécessité, un peu empiriquement, qu’est né en 1981 l’embryon d’Audi Sport, avec Walter Treser et Roland Meyer aux commandes de ce tout jeune département « compétition », dédié à l’engagement de la nouvelle Audi quattro en rallye. A la demande de Piëch, la FIA autorise un changement de réglementation afin de pouvoir engager une auto de tourisme à transmission intégrale. Là encore, personne ne voit poindre la menace, tant du côté des instances officielles que des concurrents, qui sont au contraire plutôt amusés et dubitatif face à l’engagement d’un tel « bazar » motorisé. Après une première année pour « voir », déjà prometteuse, ils ne vont pas rire bien longtemps…
Audi Sport à l’école du rallye
S’ensuit une véritable razzia au championnat du monde des rallyes ! Outre le titre « constructeur » glané en 1982 et 1984, la quattro permet à Hannu Mikkola d’enlever la couronne mondiale en 1983, puis à Stig Blomqvist en 1984. Forcément, face à une telle montée en puissance, Audi Sport n’a pas eu d’autre choix que de se professionnaliser, et l’entité « quattro GmbH » est créée officiellement en 1983, soit voilà tout juste 40 ans ! Jusqu’en 1986, arrêt des Groupe B à cause d’accidents mortels à répétition, la quattro va remporter pas moins de 23 victoires (auxquelles il convient d’associer également Michèle Mouton et Walter Röhrl). Un véritable hold-up qui permettra à Audi d’être enfin connu et reconnu, et de briller dans le monde entier. Jusqu’aux USA, un immense marché de conquête pour Audi. La firme aux Anneaux y entrera de façon remarquée grâce à l’engagement de la quattro à la légendaire course de côte de Pikes Peak, « la course vers les nuages » étant un vrai mythe en Amérique. Bien que vieillissante, la quattro écrase à nouveau la concurrence trois années de suite (de 1985 à 1987 !).
Audi s’étant pour de bon retiré du rallye, Piëch change de discipline (et de continent !), en engageant dès 1987, sur circuit cette fois, une impressionnante 200 quattro au championnat américain TransAm qui, elle aussi, s’impose. L’année suivante, toujours aux USA, celle-ci devra se contenter du titre de vice-championne de l’IMSA. Forcément, Audi Sport devient une structure qui compte de plus en plus dans le sport automobile, et entend bien le faire savoir en engageant dès 1989 en IMSA GTO la nouvelle 90 quattro IMSA GTO, un monstre voyant sur 5 cylindres 2.2 turbo poussé à… 720 ch. Là encore, c’est un succès, Hans-Joachim Stuck remportant pas moins de 7 courses durant la saison 1989 ! Dans la foulée, Audi revient par la grande porte en Europe, en s’engageant là encore dans des disciplines très populaires, comme le DTM (Championnat d’Allemagne de voitures de Tourisme), qui a l’avantage de faire courir des autos proches, en apparence, à celles de série. Cela se fait donc avec la grosse Audi V8, première du genre capable de rivaliser avec les Mercedes Classe S et BMW Série 7 ! L’engagement de cette limousine dans le plateau détonne – et étonne – l’Audi V8 quattro devenant la nouvelle référence à battre durant les saisons 1990, 91 et 92, avec pour pilotes Hans-Joachim Stuck, mais aussi le grand Walter Röhrl et Frank Biela. Après cette décennie magique, Audi est enfin devenue une marque qui compte. Reste pour Piëch à étendre sa stratégie aux modèles de série. Une autre mission qui sera assignée à quattro GmbH…
› Après son sacre en rallye, Audi va s’engager avec le même succès sur circuit, en IMSA GTO tout d’abord…
« En rallye, Audi va effectuer un véritable hold-up lui permettant d’être enfin connu et reconnu et de briller dans le monde entier ».
Des circuits à la route… et de la route aux circuits
Pour capitaliser sur le succès du Ur quattro, Audi va faire sensiblement évoluer sa voiture star, la plus grosse modification portant sur le moteur, le 5 cylindres 10 soupapes passant de 2.1 litres de cylindrée pour 200 ch à 2.2 litres et 220 ch grâce, notamment, à l’adoption d’une culasse inédite comportant 10 soupapes de plus (20v). C’est ainsi nantie que l’Ur quattro achèvera sa carrière en 1991, une année charnière qui verra l’Audi Coupé S2 (sur base Audi 80) prendre la relève… avec exactement le même moteur ! Ce fameux 5 cylindres, qui fera tant pour la réputation du constructeur (élu depuis 9 fois « moteur de l’année » !), sera même confié aux bons soins de Porsche pour en tirer le meilleur. Cela donnera en 1993 l’improbable RS2, la première Audi de série siglée « RS », gage d’une sportivité débridée. Sous l’impulsion de Piëch, la gamme « RS » (Renn Sport), à l’instar de la gamme « quattro », ne va cesser de se développer au point de concerner quasiment tous les modèles (RS3, RS4, RS5, RS6, RS7…). La clientèle en redemande, et ces modèles de pointe assemblés par quattro GmbH sur une chaîne à part, à Neckarsulm (ex-usine NSU), sont naturellement générateurs d’image… et de fortes marges. En 40 ans d’existence, Audi Sport aura ainsi développé pas moins de 20 modèles « RS », et livré quelques 5530 voitures depuis 2017.
› Audi Sport va vite capitaliser sur ses victoires en compétition en proposant au grand public une gamme sportive baptisée «RS».
Bien sûr, impossible d’occulter ici l’engagement d’Audi Sport en endurance à l’aube des années 2000. A l’instar de Porsche, Audi va se servir du WEC (Endurance) pour tester et développer de nouvelles technologies, que l’on retrouve pour la plupart sur les modèles de série. En 1999, avec le proto R8 C Audi teste ainsi avec succès un inédit V8 bi-turbo essence (TFSI). En 2006, c’est au diesel de briller avec la R10 TDI (moteur V12), une technologie déclinée en V10 dès 2008 (R15), puis en V6 en 2011 (R18), avec l’apport d’une micro-hybridation (ultra). L’hybridation, ce sera d’ailleurs au cœur du système animant à partir de 2012 la R18 e-tron quattro. En WEC, Audi aura là encore laissé une trace indélébile dans le sport automobile, en raflant 63 victoires sur 80 courses, et en s’imposant 13 fois au Mans sur 16 participations. Là encore, « l’avance par la technologie » ou « Le Mans, home of quattro » n’ont rien de simples slogans.
Mais au-delà des écuries officielles portant Audi au sommet, il convient de ne pas oublier les pilotes privés, également meilleurs ambassadeurs de la marque aux Anneaux en compétition. C’est une autre facette méconnue d’Audi Sport. Ainsi, dès 2009, on assiste aux débuts du « Programme Customer Racing », proposant aux gentlemen drivers d’acquérir une vraie Audi de compétition (R8 LMS GT2, GT3, RS3 LMS, R8 LMS GT4…), éligible partout dans le monde dans divers championnats, et de profiter de toute l’expertise d’Audi Sport. Un programme sportif très séduisant qui a permis à la marque aux Anneaux de glaner plus de 415 victoires toutes disciplines confondues depuis 2009 !
› En supertourisme puis en endurance, Audi va écrire encore de belles pages du sport auto et tester avec succès de nouvelles technologies.
Les défis de demain
Evidemment, sans surprise, l’essentiel de ce programme repose sur une voiture bien à part, la formidable R8 de série lancée en 2006, première supercar signée Audi voulue là encore par Ferdinand Piëch. Bien que partageant de nombreux composants avec Lamborghini (structure aluminium et moteur V10), la R8 va cultiver sa propre identité et se faire progressivement un nom dans le sport automobile. Et le slogan qui lui est dédié n’a rien, lui non plus de mensonger : « née sur la piste, faite pour la route ». Il est vrai que le modèle de série partage plus de 60% de pièces communes avec la redoutable version LMS réservée à la piste ! La piste, Audi Sport y restera quelques années de plus avec des modèles thermiques jusqu’en 2020, via le DTM notamment, en engageant une A5 profondément modifiée pour l’occasion. Au final, Audi va marquer durablement cette discipline phare en remportant 15 titres DTM, et 8 titres constructeurs en 22 saisons, au grand dam de BMW et Mercedes ! La performance est belle mais le plus difficile est sans doute à venir… En effet, Audi Sport va devoir livrer ses plus grands combats dans les années à venir en se focalisant sur le développement de voitures hybrides et électriques performantes.
Plus qu’une évolution, c’est une véritable révolution technique et culturelle à laquelle on va assister, conséquence directe des engagements pris par l’Europe pour réaliser sa « transition verte », passant par le bannissement à court terme des moteurs à combustion interne. Cela comporte un risque bien réel de pertes de compétences dans le thermique, Audi ayant annoncé pour 2024 l’arrêt de sa R8, mais aussi du TT et probablement d’autres modèles tout aussi savoureux. Plus qu’une page qui se tourne, c’est un chapitre qui se clôt, mal vécu pour tous les passionnés d’automobiles. Pour l’heure, le constructeur va de l’avant en développant une nouvelle gamme de sportives électrifiées, bénéficiant elles-aussi de l’expertise « RS ». Le premier exemple a de quoi rassurer, puisqu’il s’agit de la très convaincante e-tron GT RS, aussi belle à regarder qu’enthousiasmante à conduire.
Et en compétition, Audi se focalise aujourd’hui sur son engagement au Dakar, mais aussi et surtout sur la mise au point de sa Formule 1 (avec Sauber), annoncée pour 2026. Cela se déroule derrière les murs du centre secret Audi Sport de Neubourg, dernier cadeau de Piëch fait à sa marque de cœur avant sa disparition. Aujourd’hui, ce département sportif de pointe réservé à la compétition emploie quelques 300 salariés (sur 1500 membres de la famille Audi Sport GmbH), et vient de s’agrandir de 3000 m2 de locaux pour accueillir le programme F1 (Audi Formula Racing GmbH). Un programme déjà critiqué pour ses coûts pharaoniques, qui a torpillé les nouveaux sport-protos prévus pour être engagés au Mans 2023, et qui va certainement demander d’autres sacrifices. Espérons seulement qu’Audi Sport conserve les coudées franches pour nous concocter de futures voitures tout aussi excitantes, avec la volonté farouche de produire des modèles thermiques tant que cela reste possible. Pour les 40 années à venir ?
› Après le DTM en A4 puis A5 et un développement de la R8 pour la compétition-client, Audi Sport s’essaye au rallye-raid au Dakar et, à partir de 2026, à la Formule 1. Un sacré challenge !