Novatrice à bien des égards, l’Auto Union Type C n’est pas qu’une simple voiture de course. C’est aussi et d’abord une formidable « machine de guerre », un engin complètement fou destiné à servir la propagande nazie et faire triompher la toute puissante Allemagne…
Par Jack Seller, photos Joseph Bonabaud
En bref
Sport-prototype de type monoplace
Moteur V16 6.0 de 520 ch
Engagement de 1936 à 1937
9 victoires en 1936, 8 en 1937
Au milieu des années 30, l’Allemagne est encore fréquentable, malgré la montée en puissance d’un personnage inquiétant du nom d’Adolf Hitler. Elu chancelier en 1933, il souhaite redonner à l’Allemagne, humiliée en 1918, sa grandeur passée, et cela passe par la mise en place de nombreux programmes novateurs pour l’époque, où l’automobile y tient une place de choix. Outre la création d’un avant-gardiste réseau d’Autobahn à travers le pays à l’attention des automobilistes (mais aussi et surtout pour faciliter le mouvement rapide de bataillons dans un futur proche), Hitler fait également développer dès 1937, par un certain Ferdinand Porsche, une auto populaire, accessible au plus grand nombre, la Kdf Wagen ( la puissance par la joie !), que l’on pouvait acquérir via une souscription étalée sur 4 ans, au moyen de timbres spécifiques de 5 Reichsmark, à coller chaque semaine sur un carnet. La suite, on la connaît : bien peu verront la couleur de leur voiture, l’argent étant finalement détourné au profit de l’armement de l’Allemagne, et cette Kdf ne verra vraiment le jour qu’après-guerre ( à l’initiative des alliés anglais), en devenant la mythique Coccinelle.
En cette sombre période, l’Allemagne se distingue également en compétition automobile. Hitler veut voir briller l’Allemagne dans tous les domaines, et il voit à travers l’automobile un formidable objet de puissance et de haute technologie, idéal pour servir la cause nazie et sa supériorité supposée. Pour ne pas laisser le monopole au géant Mercedes, constructeur dominant du moment grâce aux fonds colossaux débloqués par le Reich allemand, Auto Union est créé en 1932, histoire de donner le change. Ce consortium inédit regroupe 4 petites marques dont Audi, DKW, Horch et Wanderer, donnant naissance aux fameux logo comportant 4 Anneaux. Dès 1934, le sport automobile devient un enjeu majeur, et Auto Union engage avec succès sa première flèche d’argent, la Type A, déjà conçue par Porsche… et elle-aussi largement financée par les nazis. La voiture étonne par certains choix techniques audacieux, notamment la position centrale arrière du moteur, un énorme V16 4.4 litres de 295 ch ! Construite à seulement 5 exemplaires, l’Auto Union Type A est la première d’une belle lignée, dont le modèle le plus exceptionnel est sans doute la Type C qui nous intéresse ici…
Rencontre du 3ème type
Comme son matricule le laisse supposer, la Type C est le troisième modèle des monoplaces Auto-Union, l’équivalent de nos Formule1 d’aujourd’hui. Fabriquée à la main par une équipe dédiée sur le site de Zwickau, au service compétition, la Type C concentre tout ce que le génie humain pouvait produire de mieux pour l’époque. Conçue également par Ferdinand Porsche, la Type C reste fidèle au moteur installé en position centrale arrière, une architecture innovante, permettant d’équilibrer au mieux les masses, et qui allait à l’encontre de la conception des rivales de l’époque, Alfa Roméo, Bugatti et Mercedes comprises. D’ailleurs, pour bien situer les choses, Ferrari ne testera cette solution technique pourtant évidente qu’à partir des années 60 ! De la Type A à la Type C il y a eu, en seulement 2 ans, une sérieuse inflation dans la salle des machines. Car si la Type C conserve le V16 originel, il se voit réalisé pour les circonstances à 6.0 litres, la puissance, terrifiante, faisant un bond à 520 ch (pour 780 Nm de couple !) grâce à une suralimentation par compresseur à deux étages.
Le fuselage de la carrosserie peint, comme il se doit, gris métallisé, à mi-chemin entre une torpille et un scarabée, a lui aussi de quoi impressionner. Formé de tôles d’aluminium roulées à la main et assemblées sur un solide châssis tubulaire, celui-ci particulièrement étroit permet juste de caser le pilote, situé aux avant-postes – avec les pieds au niveau des roues avant. En fait, la majorité de l’ensemble sert surtout à abriter l’énorme V16 placé à l’arrière, le réservoir se trouvant entre le cockpit et le compartiment moteur. Ce moteur incroyable, vraie cathédrale de métal, est si gros qu’il est positionné longitudinalement, sous un capot doté de persiennes et d’ouvertures juste assez grandes pour laisser passer les sorties d’échappement (une par cylindre, donc 8 de chaque côté !). Pour offrir le meilleur comportement possible, l’ensemble se dote de suspensions indépendantes, le tout étant freiné par 4 énormes tambours. Les roues à rayons, placées aux extrémités d’un châssis présentant un long empattement (2m91 !), bien sûr apparentes et à peine plus larges que celles d’une moto, inspirent une confiance toute relative pour une fusée capable de dépasser les 340 km/h en pointe ! Une raison qui a sans doute poussé les ingénieurs à jumeler les roues arrière, comme sur un camion, pour augmenter la tenue de route et l’adhérence. Car non contente d’être très puissante, la Type C est aussi très légère, en ne pesant que 824 kg sur la balance, l’essentiel du poids étant constitué par le moteur et le châssis.
Dominatrice
A l’instar d’une certaine Audi quattro dans les années 80, intouchable en rallye, la redoutable Auto Union Type C ne va laisser que peu de chance à ses adversaires, en dominant littéralement les saisons 1936 et 1937. La concurrence va devoir se partager les miettes, car pour ne rien arranger, Auto Union va s’offrir les services des plus grands pilotes du moment, notamment Hans Stuck, Tazio Nuvolari ou encore Bernard Rosemeyer. Une dream-team qui a quelque chose de romanesque, façon « étoffe des héros ». Dès les premiers Grand Prix, la concurrence va se rendre compte du saut technologique accompli par Auto Union, tant la Type C s’avère performante et redoutable. C’est peu dire… Dès 1936, sa première année d’engagement, elle remporte six Grand Prix sur circuit (dont celui de l’Avus !), mais aussi trois courses de côte, signe de son extraordinaire polyvalence. A son volant, durant cette saison, Rosemeyer s’adjuge le convoité titre de Champion d’Europe des pilotes. L’année suivante, la Type C fera presque aussi bien en remportant huit épreuves, dont deux courses de côte. Tout semble sourire à Auto Union, et cette même année, la voiture est habillée d’une carrosserie aérodynamique spécifique allongée et profilée, englobant les roues (Type C Streamline), afin d’aller le plus vite possible pour battre des records de vitesse.
Fin 1937, Rosemeyer pulvérise un record en atteignant les 406 km/h avec sa Type C Streamline ! Mais les records sont faits pour être battus… Le 28 janvier 1938, son rival Rudolph Caracciola établit un nouveau record sur l’Autobahn reliant Francfort à Darmstadt, sa fantastique Mercedes W125 Recordwagen étant chronométrée à la vitesse ahurissante de… 437 km/h ! A peine 30 minutes plus tard, pour laver l’affront, la Type C Streamline de Bern Rosemeyer s’élance à son tour sur le ruban de béton de l’Autobahn et prend progressivement de la vitesse. Beaucoup de vitesse. Mais une forte bourrasque de vent le fait dévier de sa trajectoire à près de 400 km/h, emportant dans un dernier souffle Rosemeyer et la Type C, l’éphémère Type D, ultime Auto Union produite, ayant déjà pris le relais en compétition. Cette mort aussi soudaine que brutale est vécue comme un drame national, l’Allemagne perdant un héros, mais ce n’est rien comparé à ce qui attend le monde. L’année suivante, l’Allemagne nazie entre en guerre et déclenche la seconde guerre mondiale, mettant un terme au développement des formidables flèches d’argent et à l’existence même d’Auto Union. Plus qu’une page qui se tourne, c’est la fin d’un incroyable chapitre…
On aime
Voiture de légende !
Moteur incroyable
Performances fabuleuses
On aime moins
Que 5 exemplaires au monde (dont 4 répliques)
Inabordable !
Réputée délicate à piloter
Caractéristiques techniques : Auto Union Type C, 1936
Moteur : 16 cylindres à 45°, 6006 cm3, suralimentation par compresseur
Puissance (ch à tr/mn) : 520 à 5000
Couple (Nm) : 780 Nm
Transmission : aux roues arrière
Boîte : mécanique à 4 rapports
Freins : 4 tambours ventilés
Pneumatiques : nc
L x l x h (m) : 5,92 x 1,69 x 1,02
Réservoir (litres) : nc
Poids à vide (kg) : 824
0 à 100 km/h (sec) : nc
Vitesse maxi (km/h) : plus de 340 (406 km/h pour Streamline)