Vous connaissez tous, plus ou moins, l’œuvre de Picasso, considéré comme l’un des plus grands peintres et sculpteurs du 20e siècle. Mais connaissez-vous « Picasso », une officine américaine spécialisée dans la création de limousines à qui l’on doit cette surprenante Audi 5000 ? Non ? Alors chaussez les patins et embarquez en notre compagnie !
Par Thomas Riaud, photos Thomas Riaud
En bref
Audi 100 Type 44 limousine
Transformation effectuée par « Picasso »
Longueur (estimation) : 7 mètres
Exemplaire unique
« La bonne taille pour les jambes, c’est quand les pieds touchent par terre ». Il avait le sens de la formule le père Coluche. Et pour plagier ce postulat, somme toute plein de bon sens, je dirais que la bonne taille pour les voitures, c’est quand elles ne font pas « too much ». Je ne suis pas Coluche, mais comprenez par-là que tout dans la vie n’est finalement qu’une affaire de proportions et d’équilibre. Après tout, entre Claudia Schiffer et Maïté, il n’y a que quelques centimètres de différence en hauteur et en largeur ! Pour l’Audi qui nous intéresse ici, c’est plutôt au niveau de la longueur que ça se passe.
Désolé de donner pour une fois dans l’approximation, mais autant être franc dès le départ : faute de fiche technique existante (et de mesures prises sur place), nous ne pourrons vous dire de combien de centimètres, voire de mètres, cette étonnante Audi 100 Type 44 a été allongée. Vous êtes en présence d’un exemplaire unique au monde, à classer parmi les « moutons à 5 pattes » que seul Avus est capable de vous dénicher. Mais à vue de nez (ou « à la louche », selon l’instrument qui vous est le plus familier), cette Audi doit bien avoisiner les 7 mètres de long, voire même les dépasser ! Pour comprendre comment on en est arrivé là, un retour dans les années 80 s’impose…
Big is beautiful !
Au début des « eighties », Audi est en pleine croissance à travers le monde, un bel élan porté par l’Ur quattro et ses nombreux succès en rallye. En ce temps-là, l’Amérique de Reagan fait encore rêver, y compris un certain Ferdinand Piëch, alors directeur d’Audi, qui y voit là un formidable marché potentiel. A raison, car si au centre des USA on roule « made in Detroit » le colt à la ceinture, sur la côte Est ou Ouest en revanche, on est plus « civilisé ». Pour les gens chics, il est en effet de bon ton de s’afficher au volant d’une voiture européenne. C’est ainsi que l’on croise des Saab, Volvo, BMW, Range Rover, Porsche et autres Mercedes dans les endroits les plus chics, de Boston à Los Angeles. Pour conquérir les USA, Audi débarque avec la première 200 turbo, une berline premium et statutaire baptisée localement « 5000 », en hommage au 5 cylindres. On peut notamment la voir s’afficher dans le film vedette de Spielberg « E.T », mais aussi en second choix dans la série télé « Magnum », Higgins en faisant sa voiture de fonction.
Pour appuyer la présence d’Audi aux USA, la marque aux anneaux se lance par ailleurs avec succès dans des championnats locaux très disputés et populaires, ce qui nous amène aux hold-up opérés par les monstrueuses Audi 200 TransAm et 90 IMSA GTO, qui dégoûtent littéralement la concurrence, au point de changer le règlement, pour interdire la transmission intégrale. Sur tous les terrains, y compris sur la piste sinueuse et gravillonnée de Pikes Peak, pourtant chasse gardée des américains, le système quattro fait étalage de sa suprématie, avec Michèle Mouton, puis avec Walter Röhrl (S1 quattro E3). Autant dire qu’en 1986, la jeune marque Audi bénéficie déjà d’une belle notoriété au pays du dollar, chose qui a sans doute poussé le client initial de cette brave berline « 100 C3 type 44 », à la confier aux mains expertes des ateliers de Picasso.
Ici, il n’y a ni chevalet ni pinceau, mais plutôt des disqueuses, des fers à souder, des marbres, des renforts de caisse et tout ce qu’il faut pour tronçonner et rallonger dans les règles de l’art n’importe quelle auto. Car depuis 1981, Picasso est « coach builder » à New-York, c’est-à-dire littéralement concepteur de carrosserie automobile. Mais attention : vous n’êtes pas chez Zagato ! Cette entreprise, dirigée à l’époque par un certain Gualberto Diaz, est ainsi spécialisée depuis toujours dans la conception de limousine, un genre pour le moins « bling-bling » très apprécié aux USA, où l’importance d’un homme (et l’épaisseur de son portefeuille) s’apprécie en fonction de la longueur de sa voiture. En clair, « c’est à celui qui aura la plus grosse », et si Picasso a plutôt pour habitude d’officier sur des Cadillac ou Lincoln locales, il a visiblement su transposer à merveille son art sur cette exotique berline Audi 5000. L’engin parfait pour parader ostensiblement de Broadway à Manhattan, après avoir fait sauter la banque de Wall Street !
Chérie, j’ai agrandi l’Audi !
Bon, je vais être franc avec vous : je trouve cette Audi 5000 Picasso grotesque, à la limite du vulgaire et du ridicule. L’aspect général y est bien sûr pour beaucoup, mais aussi quelques détails qui en disent long. Vous allez voir, parfois, un détail, c’est important. En effet, ne dit-on pas que le diable se cache dans les détails ? Alors que penser des cache-moyeux des jantes alliage, affublés d’anneaux Olympiques ? Et franchement, quitte à rouler confortablement en « bétaillère », autant le faire avec un minimum de panache, comme en SUV, en van ou en… minibus ! En revanche, côté « spectaculaire », il est vrai que cette Audi 5000 fait un sans-faute, et en jette plus qu’un Combi Volkswagen. Je suis certain que Donald Trump aurait validé cet engin improbable ! Cette carrosserie peinte d’une livrée blanc nacrée, mise en valeur par un pavillon long comme un porte-avions et habillé de vinyle noir, ne passe pas inaperçue.
Heureusement, pour échapper aux regards pesant des badauds (et éviter une certaine honte !), on peut s’abriter derrière les vitres fumées de l’habitacle. A condition de prendre place à l’arrière, le cockpit réservé au chauffeur étant resté d’origine. Dans le compartiment arrière, en revanche, c’est grand luxe à tous les étages. Un luxe qui paraît aujourd’hui bien kitch et désuet avec cet ensemble de velours bleu, mis en valeur par des boiseries vernies bien clinquantes. Pour un peu, on se croirait dans un épisode de Dallas ! Picasso a agrémenté la cellule arrière, assez vaste pour accueillir confortablement 4 adultes, de toute la technologie dernier-cri. Enfin, on a droit à du high-tech de 1986, année de construction de cette Audi, mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts (rigides !). Le magnétoscope VHS et les radiocassettes, c’est encombrant et quelque peu ‘’has been’’ de nos jours. Sue Hellen n’en aura cure, dans la mesure où un minibar garni d’un service en cristal est aménagé sur l’un des flancs de l’auto. Entre boire ou conduire, elle a au moins fait son choix !
Moi aussi, et puisque Sue Hellen cuve son vin en roupillant affalée sur la vaste banquette arrière, j’en profite pour me glisser derrière la grand volant. Bon, mis à part le compteur gradué en miles, je retrouve un univers qui m’est familier, en tous points comparable à une Audi 100 C3 bien de chez nous. A un autre détail près : la présence d’une boîte automatique à 3 rapports. Un véritable tue l’amour, cette boîte antédiluvienne n’ayant pas vraiment l’agrément d’une Tiptronic à 8 rapports d’aujourd’hui. Certains disent que « plus c’est long, plus c’est bon ». Moi, je dis, faut voir ! Avoir le doigt coincé dans une porte par exemple, ce n’est guère agréable, et c’est le genre de moment que l’on souhaite écourter. Et cette boîte, qui tire long tout ce qu’elle peut en sortant les rames, est un autre exemple que « longueur » ne rime pas forcément avec « bonheur ».
A sa décharge, la transmission doit composer avec le malheureux 5 cylindres 2.2 de 115 ch, déjà à sa peine sur une Audi 100 normale. Vu le nombre de m2 de carrosserie qu’il a en plus à mouvoir, il est logique que le tandem moteur-boîte ait envie de prendre des vacances. Avec seulement 165 Nm de disponibles au régime plutôt haut perché de 2500 tr/mn, cette Audi 5000 est partout à la peine. Clairement, il aurait été bien plus judicieux d’effectuer cette transformation sur une Audi V8, bien plus puissante et coupleuse. Pour chiffrer le 0 à 100 km/h, il n’est pas nécessaire de sortir un calendrier, mais avec 14,5 secondes pour abattre cet exercice, il ne faut pas être pressé de prendre son jet privé. De toute façon, il est parfaitement inconcevable de brusquer une telle Audi. Déjà, cela ne sied pas à son rang de voiture d’apparat, et surtout… on ne peut pas ! Vous avez déjà essayé de conduire sportivement avec un autobus ? Là, c’est pareil, la longueur hors-norme de l’équipage oblige à « trajecter » très large avant de tourner, pour enrouler l’obstacle, afin que l’arrière puisse passer sans encombre. Quant au freinage, vu la masse de l’engin, qui nécessite presque de passer le permis poids-lourd, mieux vaut anticiper. Voilà de quoi donner des sueurs froides à votre serviteur qui prendra, après une brève prise en main, une sage décision : repasser derrière pour s’en jeter un petit en compagnie de Sue Hellen. Santé !
L’avis d’Avus
Cette incroyable Audi 5000 signée Picasso est une « œuvre » qui a sans doute son public, mais celui-ci doit être averti pour l’apprécier à sa juste valeur ! Et sans doute faut-il vivre à Las Vegas et avoir le sens du spectacle et de la démesure pour aimer parader dans ce genre d’engin, à l’opposé du bon goût de la culture européenne. Il semblerait que cet exemplaire soit unique, et franchement, de vous à moi, on se dit que ce n’est pas plus mal ! Il n’en demeure pas moins que cette Audi reste, aujourd’hui encore, une sacrée curiosité !
Merci à Thomas Höing, heureux propriétaire de ce rare exemplaire qu’il est possible de louer à la journée (avec chauffeur), pour sa disponibilité lors de notre reportage.
On aime
Audi unique !
Confort royal
Espace aux places arrière
Equipement riche
On aime moins
Trop longue !
Encombrement de bus
Image bling-bling
Agrément de conduite nul
Caractéristiques techniques Audi 5000 Picasso, 1986
Moteur : 5 cylindres en ligne, 2226 cm3
Alimentation : injection
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 115 à 5500
Transmission : roues avant, boîte automatique à 3 rapports
Freins AV/AR : disques ventilés / disques
Dimensions (L x l x h) : 7m environ x 1m81 x 1m42
Poids à vide (kg) : 1800 kg environ
Pneus (AV / AR) : 225/70 R 14
Performances
0 à 100 km/h (sec) : 14,5
Vitesse maxi (km/h) : 150 environ