Celle que l’on nomme désormais « Ur quattro » a énormément contribué à donner à Audi ses premiers galons de constructeur de voitures de standing. Mais avec la bestiale et rarissime version Sport quattro, véritable concentré de génie civil et supercar avant l’heure, Audi est parvenu à gagner le club très fermé des marques de prestige…
Par Thomas Riaud, photos Thomas Riaud
Deux cent quatorze exemplaires, et pas un de plus. Autant dire que cette Sport quattro, devenue culte aujourd’hui malgré sa rareté, a toute sa place dans ce dossier ! Mais sa gestation ne fut pas simple… A la fin des années 70, Audi a acquis l’image respectable d’un constructeur rigoureux, faisant des voitures sérieuses de qualité, mais pour le « fun » et le sport, mieux valait chercher ailleurs ! Sous la houlette de Ferdinand Piëch, à la tête du bureau d’études depuis 1975, Audi va donc développer une auto à l’image valorisante, un coupé en l’occurrence animé par un 5 cylindres turbo de 200 ch, renfermant de surcroît une technologie révolutionnaire : une transmission intégrale. Dévoilée en 1980 au Salon de Genève après 30 mois de gestation, cette GT baptisée sobrement Audi quattro passe pourtant presque inaperçue. Mais pas pour longtemps…
Le Docteur Piëch, artisan des victoires de la 917 lorsqu’il était auparavant responsable du département courses de Porsche, savait mieux que quiconque l’impact que des victoires en compétition au plus haut niveau pouvaient avoir sur le grand public. Après une modification du règlement en accord avec les instances de la FIA, afin d’accepter les autos à transmission intégrale, la belle anonyme fut donc engagée en Championnat du Monde des Rallyes. Dès sa première sortie au Monte-Carlo, elle survola les débats et glana titre sur titre jusqu’en 1983, jusqu’à décrocher le titre suprême ! Mais pour rester en haut de l’affiche, il devenait urgent de développer une voiture encore plus compétitive que cette grosse et lourde « quattro A2 », capable de répliquer aux nouvelles et performantes « Groupe B », notamment les Peugeot 205 T16 et Lancia Delta S4, équipées elle aussi désormais de 4 roues motrices. En 1984, Audi remet les pendules à l’heure avec l’extraordinaire Sport quattro présente dans ces pages…
Révolutionnaire
Même s’il est logique de concevoir une auto à transmission intégrale inédite avec un moteur central arrière pour équilibrer les masses, chose rendue possible par le règlement très permissif des Groupe B, Ferdinand Piëch ne veut pas en entendre parler. Walter Treser, alors responsable d’Audi Sport, conçoit un tel prototype en catimini, ce qui va lui coûter sa place ! Dans sa soif de notoriété pour la marque aux 4 Anneaux, Piëch souhaite que la voiture engagée ressemble le plus possible au modèle de série. Pour gagner autant en poids qu’en agilité, Ferdinand Piëch imagine de raccourcir bêtement son Audi quattro. A première vue, ce brave coupé semble avoir été sauvagement tronçonné d’au moins 30 cm au niveau de l’empattement. Mais limiter les modifications à un simple « tronçonnage » serait faire insulte au savant Docteur Piëch. En observant attentivement la voiture, on remarque qu’elle a été repensée en profondeur, de fond en comble… Râblée, ramassée et ostentatoirement agressive, la méchante Sport quattro reçoit une face avant redessinée, comportant des optiques simples et de petits clignotants. Ce qui frappe surtout ce sont les nombreuses entrées d’air placées en « mille-feuille », de la tranche supérieure du capot au bouclier, en passant par le spoiler. Il faut que ça respire !
Le profil semble, quant à lui, gavé aux anabolisants, arborant des passages de roues enflés à cause des voies élargies, tandis que l’arrière se coiffe d’un imposant aileron afin de donner de l’appui à haute vitesse. Cette poupe, tronquée au niveau du coffre, reprend à son compte les feux fumés caractéristiques du coupé de base, mais elle se dote d’une double sortie d’échappement plutôt suggestive. Quant à cette coque sur-mesure fabriquée chez Baur, entièrement en kevlar pour gratter de précieux kilos, elle abrite le fameux 5 cylindres 2.1 litres, sauf qu’il se voit pousser ici à 306 ch à 6700 tr/mn grâce à l’adoption d’un gros turbo KKK, le même précisément qui équipe la redoutable Porsche 911 Turbo du moment (Série G 930 Turbo). Un moteur fabuleux tout en aluminium, développant en fait naturellement plutôt près de 340 ch, après une vérification au banc.
Finalement, la voiture est tellement transfigurée qu’Audi doit en fabriquer au moins 200 exemplaires, comme l’exige le règlement du Groupe B, pour l’homologuer et l’engager à nouveau en compétition. Une série de 214 Sport quattro « stradale » sera finalement produite, dont 164 destinées aux clients (les autres étant réservées aux pilotes maison comme le grand Walter Röhrl, mais aussi à la promotion du système quattro dans le réseau). Mais en étant affichée à plus de 750 000 Francs l’unité à l’époque, cette supercar aux Anneaux trouve difficilement preneur, à tel point que la dernière sera vendue en… 1987 !
Il est vrai que cette somme faramineuse, comparable à celle d’une prestigieuse Ferrari de l’époque, semble difficile à justifier pour ce qui ressemble vaguement à un simple coupé quattro « court », sans grande notoriété. Pourtant, avec cette inédite Sport quattro, Audi proposait bien pour la première fois de son histoire, en vente libre, une véritable bête de course, assurément bien plus efficace que tout ce que l’on pouvait trouver dans le commerce. De quoi en faire, pour « les gens qui savent », un véritable tube des années 80, que l’on veut se passer encore et encore en boucle !
La belle est une bête
Bestiale à l’extérieur, la Sport quattro joue la même partition à l’intérieur. Déjà, oubliez les 2 belles places arrière du coupé de base. En tant que sportive pure et dure, la Sport quattro se pose comme une 2+2, les places arrière étant symboliques. Il en va de même du coffre, réduit à sa plus simple expression en accueillant un gros réservoir d’une capacité de 100 litres, chose utile pour offrir une autonomie digne de ce nom. Pourtant, cette GT sait recevoir en offrant une finition rigoureuse, doublée d’une relative austérité. A bord, tout est propre, intuitif et à sa place, et l’ensemble ne fait pas du tout « bricolage », comme sur les rivales de l’époque, elles-aussi construites au minimum à 200 exemplaires afin d’être homologuées.
C’est le cas des harnais Sabelt, livrés avec des baquets Recaro très enveloppants, habillés de cuir et d’alcantara, ou encore de l’instrumentation spécifique archi-complète, parfaitement lisible. Les valeurs affichées laissent rêveur, avec 300 km/h au compteur, et un compte-tours gradué jusqu’à 9000 tr/mn ! D’autres petits « manos » circulaires intégrés sur la console centrale complètent la panoplie, pour surveiller la température d’huile et d’eau ou la pression du turbo. Dans le registre « détails qui tuent », notons la présence d’une commande permettant de bloquer individuellement les ponts, ou encore un lecteur de cartes installé côté passager, pardon !, côté copilote. La chasse aux kilos superflus étant une priorité, les équipements de confort restent réduits au minimum, tandis que le pédalier adopté est entièrement en aluminium. Chose appréciable, l’ABS est ici déconnectable, par une simple pression sur un bouton.
Vient enfin le moment tant attendu de faire plus ample connaissance avec la Sport quattro. Dès que le « 5 pattes » s’anime, des frissons vous parcourent l’échine, tant sa sonorité rauque et sourde a de quoi réjouir le mélomane. L’embrayage est du genre ferme, et la commande de la boîte mécanique (à 5 rapports), plutôt virile au niveau des verrouillages. Séance de gymnastique en vue ! Quant à l’amortissement, très sec, il répercute sans ménagement la moindre imperfection du revêtement. Une vraie voiture d’homme ! Le moteur, bien que relativement creux sous les 3000 tr/mn, demeure suffisamment souple pour envisager d’utiliser la Sport quattro en parcours urbain, sur un filet de gaz. Mais dès que la route se dégage, elle révèle sa vraie nature. Dans un barouf d’enfer, cette quattro fait honneur à son patronyme « sport », et trouve immédiatement du grip pour mieux vous coller avec force au fond des baquets. En rentrant dans la plage du turbo, à l’approche des 4000 tr/mn, les montées en régime se font plus brutales, catapultant violemment ce paquet de muscles de 1300 kg vers le prochain virage (0 à 100 km/h en 4,9’’). Si les 4 disques ventilés et rainurés signés AP Racing, plein de mordant, mettent en confiance, il convient en revanche de se méfier du comportement, transmission intégrale ou pas.
En ne faisant pas les choses à moitié, notre Dr Piech est allé loin, trop loin, en radicalisant l’Audi quattro. L’empattement, très court (2m22), doit inciter à la méfiance tant il peut générer des réactions vives, pouvant déstabiliser en virage. Un défaut qui poussera d’ailleurs Audi à modifier profondément l’auto en compétition, en élargissant encore les voies, et en greffant d’énormes appendices aérodynamiques (version S1 E2 – Evolution 2) pour la stabiliser. De surcroît le comportement de la Sport quattro de route, typé survireur, plaira aux pilotes chevronnés mais risque de perturber « monsieur tout le monde » lors des brusques changements d’appuis. Bref, vous l’aurez compris : conduire vite cette Audi demande du métier !
L’avis d’Avus
Boudée hier en collection, la Sport quattro est désormais devenue une voiture culte, que les collectionneurs fortunés s’arrachent… quant ils ont la chance d’en voir passer une à vendre ! Et on veut bien les comprendre. Objectivement rare, mais aussi très efficace et encore ultra-performante, la fabuleuse Sport quattro aura en effet changé définitivement l’image d’Audi, mais aussi la façon d’appréhender au plus au niveau la compétition automobile. Et elle aura accessoirement laissé une trace indélébile dans nos esprits… ainsi que sur les routes enneigées des spéciales de rallye !
On aime
Look bestiale
Qualité de fabrication
Moteur dingue
Performances élevées
On aime moins
Cote délirante
Pièces spécifiques inexistantes
Délicate à la limite
Merci à Norbert Clément du ROC Racing pour sa confiance et sa disponibilité lors de cette séance photo.
Caractéristiques techniques : Audi Quattro Sport 1984
Moteur : 5 cylindres en alliage léger, 2133 cm3, avec turbo KKK
Distribution : 2 ACT
Alimentation : gestion électronique intégrale Bosch L-Jetronic
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 306 à 6700
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 357 à 3700
Transmission : intégrale, boîte mécanique à 5 rapports
Suspension AV : Pseudo McPherson, barre stabilisatrice
Suspension AR : Pseudo McPherson, barre stabilisatrice
Freins : 4 disques ventilés, ABS.
Dimensions (L x l x h) : 4m15 x 1m80 x 1m34
Empattement : 2m22
Voies AV/AR : 1m48 / 1m48
Poids : 1300 kg
Pneus (AV / AR) : 235/45 VR 15
Performances
Vitesse maxi (km/h) : 265 environ
0 à 100 km/h : 4,9 sec
Cote en 2022 : 350 000 € en parfait état