Vous hésitez entre un sportif et mythique Coupé Ur quattro et un cabriolet ? Et pourquoi ne pas vouloir les deux… en un ? C’est cet heureux mariage qu’a osé Walter Treser, un pionnier de l’équipe d’Audi Sport, qui a réalisé 39 Audi quattro roadster. Autant dire que vous avez devant les yeux une belle découverte !
Par Jack Seller, photos Joseph Bonabaud
En bref
Roadster produit à 39 exemplaires
Constructeur : Walter Treser
Moteur : 5 cyl. turbo de 250 ch
Performances (vmax, 0 à 100 km/h) : 235 km/h – 6,6 sec
S’il paraît aujourd’hui logique, pour un grand constructeur, de décliner un coupé en une variante cabriolet, cela était moins évident au début des années 80. Car, en dépit des apparences, cette opération pour le moins risquée ne se résume pas seulement à un grossier « décapsulage » du toit. En effet, transformer un coupé en cabriolet nécessite de sérieusement renforcer le châssis afin de compenser l’énorme perte de rigidité induite, notamment au niveau des longerons et des montants. Bien sûr, l’idéal est de trouver un bon compromis, afin de ne pas trop surcharger l’ensemble. Et si l’on veut, de surcroît, intégrer un pavillon rétractable rigide, à la place d’une classique capote souple, cela complique d’autant plus les choses, ne serait-ce qu’au niveau de la cinématique appropriée. Autant dire que s’attaquer à un tel challenge demande une sacrée expérience. Cela tombe bien car Walter Treser, auquel on doit cette singulière Audi, en a à revendre.
Il est vrai que notre homme a été à bonne école. Il fut ingénieur metteur au point au sein du team « Audi Sport », au tout début de l’épopée de l’Ur quattro en Championnat du Monde des rallyes, avec Michèle Mouton et Hannu Mikkola comme pilotes. Un engagement logique, dans la mesure où la compétition est dans ses gènes, lui qui a couru dès 1964 sur une monoplace Lotus, animée par un moteur… DKW de 1000 cm3. Un engin déjà « hybride » dans sa forme, ce qui va sans doute lui donner quelques idées. Dès 1981, Walter, remplacé par Roland Gumpert, quitte l’équipe Audi Sport pour monter sa propre structure : « Walter Treser Automobiltechnik an Design ».
L’intitulé a le mérite d’être clair : notre ingénieur « touche à tout » veut s’impliquer tant dans la mécanique, que dans le style. Déformation professionnelle aidant, sa première création se fera à partir de… l’Audi Ur quattro. Bonne pioche, car ce choix ne doit rien au hasard. En tant que professionnel éclairé, Walter Treser sait que seule cette voiture révolutionnaire offre, au début des années 80, de la puissance à revendre et une efficacité diabolique. C’est l’union sacrée entre le fabuleux 5 cylindres 2,1 turbo, et la fameuse transmission intégrale quattro. Cela tombe d’autant mieux que BMW a déjà Alpina, et Mercedes, AMG, comme préparateurs attitrés. Enfin, cette Audi bénéficie par ailleurs de 4 belles places, critère indispensable pour la modifier en une accueillante décapotable…
Union sacrée
Il faudra près de 2 ans pour que Walter Treser aille au bout de son concept, au bout de son rêve. A la surprise générale du public, le Coupé quattro, que le monde commence à connaître grâce à ses exploits en rallye, tombe donc le haut, à l’occasion du salon de Francfort 1983. Bien sûr, le « Quattro Roadster Treser », nom commercial donné à cet engin inclassable, n’est pas présenté sur le stand officiel du constructeur aux anneaux, mais sur un autre emplacement plus modeste, dans un hall à part. Walter Treser n’a pas à rougir, car il est devenu plus qu’un simple transformateur : il est reconnu par les Mines allemandes, comme un constructeur à part entière ! A l’instar des plus grands, il a le privilège de riveter sa propre « plaque-constructeur » dans le compartiment-moteur, estampillée sobrement « Walter Treser GmbH ». C’est bien légitime car, à la vue du résultat, l’Audi Coupé quattro que nous connaissons bien a été repensée en profondeur.
Déjà, rien que sur le plan esthétique, une bonne partie de l’aérodynamique a été revue et corrigée, notamment grâce à un bouclier avant au style beaucoup plus agressif, percé de petites écopes latérales, destinées à canaliser l’air frais vers les freins, tandis qu’une ouverture décentrée se charge d’alimenter l’échangeur air-air. Un souci du détail mariant esthétique et technique, qui en dit long sur le soin apporté par Walter Treser à sa voiture, qu’il veut encore meilleure que l’originale. Rabaissée de 2 cm afin de gagner encore en tenue de route, elle profite ainsi de la monte de ressorts plus courts, d’amortisseurs modifiés Blistein et d’une astucieuse barre anti-rapprochement créée de toute pièce par ses soins.
Cette obsession de la performance le pousse même à préférer des pneus au profil plus « racing », des Michelin TRX 230/45 VR 390, un peu plus bas et larges que ceux montés d’origine, ce qui remplit mieux les passages de roue, surplombés du célèbre bossage caractéristique au niveau des ailes. Toujours pour rester dans les trains roulants, Walter Treser a même imaginé des jantes en alliage spécifiques en forme de turbine, censées, là encore, optimiser le refroidissement des freins. Elles arborent en leur centre son logo, un fier et droit numéro « 1 » raide comme la justice, comme jadis sur les premières Audi d’avant-guerre. Ce n’est certes, pas très modeste, mais cela a le mérite d’être clair : notre homme a de l’ambition, et ne souhaite pas jouer les seconds rôles !
Pole-position
Bien sûr, la modification la plus spectaculaire est l’ablation du toit de type « fast-back », qui fait tant pour la personnalité du coupé. Délicate opération… Treser a imaginé à la place un toit beaucoup plus petit, qui pivote électriquement en un seul tenant, sous un couvercle de coffre monté sur des vérins à gaz. Un système ingénieux, qui a l’avantage de limiter les éléments en mouvement (et donc le poids)… mais qui ne milite pas en faveur d’une ligne cohérente et élégante. Car lorsque ce petit toit abrupt est en place, ce coupé ressemble plutôt, de profil, à… un pick-up avec une benne à l’arrière. Il est vrai, qu’à sa décharge, rares ont été les coupés-cabriolets à briller par leur élégance ! Tout rentre dans l’ordre lorsque ce disgracieux couvre-chef s’escamote sous le couvercle. Cette fois, la magie opère, et le rêve de Walter Treser prend enfin forme ! Une belle forme même, fluide et élancée, qui s’achève par un grand becquet profilé, subtilement intégré au couvercle du toit.
Bien sûr, en tant qu’ingénieur averti, ce maniaque de la performance va aussi se pencher sur le 5 cylindres turbo Audi. Car si, sur demande, celui-ci pouvait rester d’origine (200 ch), Walter Treser proposait de mettre au service de ses clients les plus fortunés toute son expérience de la course pour gonfler le moteur. Du fait de sa cylindrée « limitée » (2119 cm3), le bloc Audi souffre d’un sérieux handicap face à l’artillerie lourde des 6 cylindres en ligne BMW, ou des V8 Mercedes. Mais faute de moyens illimités, Treser a des idées et de la ressource, et il va notamment travailler en profondeur sur la culasse (polissage, rapport volumétrique optimisé, soupapes plus importantes, arbre à cames spécial…). La suralimentation du turbo est également majorée (échangeur plus gros), et la partie la plus visible de ces modifications est la mise en place d’une injection à plus gros débit d’essence, une K Jetronic provenant du vaisseau… Porsche 928.
Résultat, le 5 cylindres gagne 50 ch dans cette opération (soit 250 ch à 5500 tr/mn), mais surtout en couple, qui passe de 29,1 mkg à 3500 tr/mn à 38,2 mkg dès 3000 tr/mn. Performant, ce quattro roadster Treser l’est assurément, mais il ne délaisse pas pour autant le confort cher à Audi. L’esprit Grand Tourisme du coupé aux Anneaux est parfaitement préservé, et même amplifié, grâce à une sellerie exclusive « full cuir » du plus bel effet, assortie à la teinte « rouge Tornado » de notre exemplaire. Là encore, Walter Treser est allé loin dans la personnalisation de sa voiture, qui reçoit une instrumentation modifiée signée « Treser », complétée comme il se doit par une commande électrique située en bas de la console centrale, permettant d’activer les moteurs du toit. Dernier détail : ce petit volant à 4 branches, estampillé de l’emblématique « 1 » en son moyeu, signe qu’au royaume du sur-mesure, cette Audi très particulière devait bien figurer en pole-position…
« Treser » de guerre
Prendre place à bord d’une telle rareté reste, même pour un journaliste d’Avus rompu à essayer toute forme d’Audi, un grand moment d’émotion. Rappelez-vous : seuls 39 exemplaires ont été fabriqués, et votre serviteur a l’honneur d’essayer le n°27 ! Evidemment, personnalisation poussée ou pas, on retrouve tout de suite ses marques à bord. Un rayon de soleil venant embellir la fête, l’envie de décapoter se fait plus pressante. Le mécanisme fonctionne bien, mais le système à gaz, un peu fatigué par le poids des ans, réclame un petit coup de pouce pour l’aider à accomplir sa manœuvre. Un effort largement récompensé dans la mesure où je découvre le plaisir indescriptible de rouler cheveux au vent dans un… Ur quattro. Mais mis à part le fait de voir la cime des arbres défiler au-dessus de la tête, qu’est-ce que cela change me direz-vous ? Tout, à commencer par le bruit incroyable du 5 cylindres turbo, qui souffle comme un beau diable sa hargne, à la moindre flexion du pied droit sur l’accélérateur ! Le quattro roadster bondit à l’assaut de la route, en prodiguant de belles accélérations, encore tout à fait d’actualité. D’ailleurs, avec un 1000 mètres départ-arrêté couvert en 27,1 secondes, et un 0 à 100 km/h expédié en à peine 6,6 secondes, il y a fort à parier que l’agrément dispensé soit tout autant plaisant d’ici quelques décennies encore !
Car Walter Treser a su bien travailler, en limitant le poids à seulement 1330 kg (soit 40 kg de plus que le coupé), ce qui profite bien sûr au moteur, en pleine forme. Mais comparé à ce que l’on sait faire de nos jours en matière de décapotable, la rigidité apparaît comme le point perfectible. En sillonnant la campagne allemande, sur des routes au revêtement parfois dégradé, on perçoit des craquements au niveau du mobilier, signe que le châssis travaille… et que transformer un coupé en un cabriolet montre ses limites. Ce quattro roadster semble en fait bien plus à son aise sur une voie rapide rectiligne et dégagée, loin des contraintes imposées par la topographie improbable du réseau secondaire. Bonne idée, car ce cabriolet aux mœurs sportives revendique 235 km/h en pointe, une vitesse, vous l’imaginez, qui devait faire rêver dans la catégorie au début des années 80. Et qui, de nos jours, peut carrément vous envoyer en prison dans notre beau pays des droits de l’homme… mais pas de l’automobiliste !
L’avis d’Avus
Véritable coupé-cabriolet avant l’heure, ce roadster très spécial permet de savourer l’Ur quattro d’une autre manière. Evidemment, avec un prix prohibitif en neuf, de 425 000 Francs à l’époque, l’exclusif quattro roadster Treser ne rencontra qu’un succès limité, surtout que sa ligne singulière, couvre-chef en place, ne plaide pas en sa faveur. Mais quel engin ! Et avec moins de 40 exemplaires produits pour le monde, celui qui possède ce rare quattro roadster peut se vanter d’avoir au fond du garage un sacré « Treser » de guerre ! Après 39 quattro roadster produits, Walter Treser se concentra ensuite, dès 1987, sur une création originale totale inédite. C’est le petit « Roadster Treser TR1 », qu’il construira en parallèle d’autres Audi très spéciales, modifiées par ses soins encore pendant de nombreuses années. Et cela fut le début d’une autre histoire…
Mille mercis à l’ami Thomas Höing, heureux propriétaire de ce rare exemplaire, pour sa confiance et sa disponibilité lors de notre reportage, ainsi qu’à Norbert Clément, du Roc Racing Historic.
On aime
Voiture culte !
Exclusivité certaine
Performances de haut niveau
Motricité
On aime moins
Finition artisanale
Rigidité perfectible
Esthétique discutable capotée
Introuvable !
Caractéristiques techniques : Audi quattro roadster Treser, 1986
Moteur : 5 cylindres en ligne, 10v, 2119 cm3, avec turbo
Alimentation : injection K Jetronic, suralimentée par turbo compresseur
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 250 à 5500
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 382 à 3000
Transmission : intégrale, boîte mécanique à 5 rapports (avec différentiel intégré à l’avant)
Suspension AV : à jambes de force avec ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques.
Suspension AR : à jambes de force avec ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques.
Freins : 4 disques (ventilés à l’avant), répartiteur de freinage.
Dimensions (L x l x h) en m : 4,40 x 1,72 x 1,32
Empattement (en m) : 2,52
Voies AV/AR (en m) : 1,42 / 1,45
Poids : 1330 kg
Pneus (AV / AR) : 230/45 VR 390 (Michelin TRX)
Performances
Vitesse maxi (km/h) : 235
0 à 100 km/h (sec) : 6,6 sec
1000 m D.A : 27,1 sec
Cote en 2022 : 85 000 € environ en parfait état