Audi S8 V10, Le Diable s’habille en Prada
Ne vous fiez surtout pas à ses airs de grande berline luxueuse propre sur elle, bien comme il faut. Cette A8 n’est pas une limousine comme les autres. C’est une S8, et cette seconde génération aura osé pousser le bouchon jusqu’à des sommets jamais vu, au point d’adopter un V10… Lamborghini !
Par Jack Seller, photos Joseph Bonabaud
En bref
Seconde génération de S8
Moteur V10 5.2 FSI 450 Lamborghini
Certaines Audi ont plus marqué leur époque que d’autres. Et on peut dire que cette seconde génération d’A8, baptisée « D3 » en interne, se pose comme un monument du genre. Pour bien mesurer son importance, un retour en arrière s’impose. Elle nous renvoie à une époque pas si lointaine où il y avait un vrai bonhomme aux manettes chez Audi, en l’occurrence Ferdinand Piëch, un brillant ingénieur qui avait autant l’amour de la belle automobile chevillée au corps et à l’âme, qu’une vraie vision de l’échiquier automobile. Devenu au fil des ans homme de pouvoir capable de faire la pluie et le beau temps au sein du directoire du tout puissant groupe Volkswagen, l’ogre Piëch se lance, comme dans une partie de Monopoly, dans l’achat de diverses marques en difficulté pour étoffer son portefeuille. On lui doit ainsi les rachats de Seat, Skoda, mais aussi Bugatti, Bentley et… de Lamborghini. Nous sommes à la fin des années 90, et si la petite firme italienne bénéficie incontestablement d’une image prestigieuse, elle pâtit aussi d’une fiabilité pour le moins perfectible. Redorer le blason de Lamborghini figurera au rang des priorités de notre capitaine d’industrie, chose qui se fera avec le renouvellement de la Diablo V12 – remplacée par la plus rigoureuse Murcielago – et par le lancement d’une petite sœur inédite, la Gallardo, propulsée cette fois par un V10 développé par Audi.
Si en cuisine, rien ne se perd, mais tout se récupère et se transforme, et bien en automobile, c’est pareil. Car Piëch, avant tous les autres, va mettre en place une brillante stratégie de mutualisation de plateformes et de mécanique, gage d’économies substantielles, tout en garantissant – et préservant – l’image de chaque marque. Et pour maximiser les profits, Piëch va tirer chaque constructeur vers le haut. Outre l’attribution du label « RS » chez Skoda, la gentille Volkswagen Passat va hériter en version haut de gamme d’un curieux… W8, une architecture que l’on retrouvera avec 4 cylindres de plus, sur la Phateon, une Volkswagen de luxe qui n’avait plus rien d’une voiture du peuple et qui voulait rivaliser avec les meilleures limousines. Plus fou encore est la résurrection de Bugatti, avec la Veyron, dotée d’un délirant W16 à 4 turbos délivrant la puissance ahurissante de… 1001 ch ! Bien sûr, Audi va profiter directement de cette stratégie où l’impossible devient possible, grâce à des budgets colossaux. Outre le lancement du très sexy TT qui donne enfin à Audi une image « design », Piëch voit bien plus haut en caressant le rêve de lancer une supercar aux Anneaux, annoncée dès 1991 par le concept Avus, qui préfigurait la R8. Outre son moteur placé en position centrale arrière, l’Avus inaugurait la structure ASF (Audi Space Frame) tout en aluminium, un process garant de légèreté et rigidité, qui sera l’un des fondamentaux de l’A8, lancée en 1994. Elle illustre l’ambition démesurée de Piëch, qui est parvenu en seulement 2 décennies à hisser Audi au niveau de BMW et Mercedes. Voire même à parfois les supplanter, chose qui se fera sur le segment des limousines sportives avec le singulier dérivé S8…
Cœur de Lamborghini
Pour amortir le V10 de la Gallardo tout en hissant le vaisseau amiral A8 à des niveaux encore jamais vus, Piëch décide d’installer ce moteur fabuleux sous le capot de la S8 de seconde génération, mais légèrement dégonflé, histoire de respecter une certaine hiérarchie (450 ch contre 520 ch pour l’italienne). Lancée fin 2002, cette seconde mouture d’A8 brille par la sobriété de ses lignes et inaugure la fameuse calandre Singleframe, directement inspirée des Auto Union d’avant-guerre. Elle propose bien sûr une gamme de moteurs classiques, dont un « modeste » V6 3.0 TDI qui fera le bonheur des gros rouleurs. Les gens plus argentés iront voir du côté de la version V8 4.2 FSI (350 ch), brillante avec son avant-gardiste injection directe d’essence, et les plus fortunés seront comblés au-delà de leurs espérances avec, au choix, une improbable version W12 de 450 ch (obtenue en accolant deux VR6 !) et, à partir de la mi-2006, avec une plus dynamique S8 de puissance identique, mais dotée du V10 de la Lamborghini Gallardo ! Cette cathédrale métallique tout en aluminium se distingue par son extrême sophistication, en étant par exemple dotée d’une distribution par cascade de pignons. Et, signe particulier, son aiguille est capable d’escalader le compte-tours jusqu’à plus de… 7000 tr/mn ! Clairement, aucune limousine à l’époque ne proposait un tel tempérament. Mais le plus étonnant est de voir comment cette S8 parvient à bien cacher son jeu…
Notre modèle de 2009, qui a donc bénéficié du restylage opéré en décembre 2007, reste en effet pour le moins discret sur le plan du style. On y voit d’abord une opulente berline de 5m06 de long (pour 2m03 de large), que l’on devine bien incapable de suivre le rythme d’une voiture sportive. Erreur, car malgré un poids supérieur à 2 tonnes, la S8 est bien une Audi du superlatif. Et en l’observant plus attentivement, on remarque quelques éléments stylistiques bien distincts, qui donnent quelques indictions sur sa nature sauvage. Outre une calandre spécifique à l’aspect chromé, la voiture reçoit des coques en aluminium brossé, mais aussi pas moins de 4 sorties d’échappement ovales, signe « qu’il y en a là-dessous ». C’est bien sûr le cas, et on prendra soin de s’attarder aussi sur les superbes jantes en alliage de 20 pouces, abritant des disques en carbone-céramique, une coquetterie réservée aux meilleures sportives, facturée près de 9 000 € en option à l’époque. Et puis, il y a ce discret sigle « V10 » apposé sur les ailes qui apporte la touche finale.
« Fastes » and furious
Sobre dehors, la S8 l’est presque davantage dedans. L’intérieur est luxueusement traité, avec une profusion de cuir et des assemblages irréprochables. Tout juste remarque-t-on le volant « sport » et les placages en carbone habillant le mobilier. Il y a aussi ces compteurs circulaires enchâssés dans la planche de bord, qui indiquent des valeurs qui laissent rêveur, avec une zone rouge débutant à 7200 tr/mn, tandis que le compteur de vitesse est gradué jusqu’à 300 km/h. C’est certes généreux, dans la mesure où ce missile en tenue de soirée est bêtement bridé électroniquement à « seulement » 250 km/h. On y est vite, très vite, mais il ne fait aucun doute que sans cette satanée bride, l’engin filerait aisément à plus de 280 km/h. Et côté accélération, on n’est pas volé non plus, l’exercice du 0 à 100 km/h étant plié en tout juste 5,1 secondes. De quoi sentir son crâne s’enfoncer dans les appuie-têtes, chose dont on ne se prive pas tant l’équipage sait s’arrêter net en quelques instants.
Mais ce que les chiffres ne disent pas est le récital poignant joué par ce fantastique V10, envoûtant dès le démarrage. Débordant de couple et de vitalité, il s’attelle à une boîte automatique tiptronic à 6 rapports aussi douce que réactive. Et assez robuste pour encaisser les 540 Nm de couple délivré de façon constante jusqu’à 7000 tr/mn. Passé ce pic incroyablement haut perché, où la plupart des mécaniques auraient abdiqué, il en reste encore 540 Nm en prenant soin de verrouiller la boîte en mode « sport » ! Autant dire que ça déménage ! Et puis il y a cette suspension pneumatique garantissant un confort de très haut niveau, paramétrée selon 4 modes (automatique, confort, dynamique et lift), cette dernière fonction permettant de faire varier la garde au sol de 95 à 125 mm. Utile pour passer un dos d’âne ! Et ce système pneumatique permet en outre de contenir le roulis dans les virages, que l’on a tendance à aborder à des vitesses que la morale réprouve. Car, vous vous en doutez, la transmission intégrale quattro est du voyage (avec un Torsen), et elle veille au grain, tout en offrant ce qu’il faut de dynamisme puisqu’elle privilégie le train arrière, en envoyant 60% de la puissance en condition normale. Reste juste à redéfinir le sens du mot « normal » avec un tel engin !
L’avis d’Avus
Cela reste bien sûr subjectif, mais de notre point de vue, cette seconde génération d’A8 demeure la plus belle, en évitant les travers de la dernière mouture, alourdie inutilement par des chromes et effets de style plus ou moins spectaculaires destinés à séduire une clientèle située principalement hors Europe qui a des sous… mais pas forcément bon goût ! Et cette ligne sobre et épurée se trouve sublimée dans cette version S8, qui atteint des sommets de raffinement mécanique avec cet incroyable V10 atmosphérique, un moteur au caractère bien trempé comme hélas on n’en verra jamais plus. Facturée en neuf à l’époque 110 750 €, cette S8 oscille désormais entre le monde de l’occasion et celui, plus enviable, des youngtimers, où elle s’affiche désormais à moins de 30 000 € pour les plus beaux exemplaires. De quoi donner de (bonnes) idées à certains pour en faire un super « daily »…
On aime
Ligne superbe
Moteur fabuleux
Confort et comportement
Finition et dotation
Prix enfin attractifs en occasion
On aime moins
Piège à permis !
Entretien onéreux
Caractéristiques techniques : Audi S8 « D3 »
Moteur : 10 cyl. en V à inj. directe d’essence, 5204 cm3
Puissance (ch à tr/mn) : 450 à 7000
Couple (Nm à tr/mn) : 540 à 3500
Transmission : Intégrale quattro (Torsen)
Boîte : Tiptronic à 6 vitesses
Freins : 4 disques ventilés en acier (carbone-céramique en option)
Pneumatiques : 265/35 R 20 (AV et AR)
L x l x h (en m) : 5,06 x 1,90 x 1,42
Coffre (en litres) : 500 litres.
Réservoir (en litres) : 90
Poids (à vide) : à partir de 2136 kg
Conso mixte : 13,4
0 à 100 km/h : 5,1 sec.
Vitesse maxi : 250 km/h