Audi s’est lancé l’an passé dans l’aventure du Dakar avec une folle idée : concourir avec un véhicule… électrique ! Après des résultats encourageants, dont quelques victoires d’étape, le proto RS Q e-tron nous revient dans une version plus affutée, baptisée « E2 ». Découverte en compagnie de Stéphane Peterhansel…
Par Thomas Riaud, photos DR
En bref
Nouvelle version du proto RS Q e-tron
2 moteurs électriques + un thermique
Poids allégé à 2100 kg et aéro optimisée
Vitesse maxi : 170 km/h (bride électronique)
C’est avec un bruit semblable à un gros aspirateur que le RS Q e-tron s’annonce. Une sonorité bien discrète pour un engin impressionnant qui a pourtant tout d’une machine de guerre. A mi-chemin entre la grosse sauterelle et le buggy, l’Audi RS Q e-tron que je découvre en mouvement sur la piste Audi Sport de Neubourg, en impose. C’était déjà le cas de la première mouture, et ça l’est tout autant de cette seconde inédite, baptisée « E2 » (pour Evolution 2), un clin d’œil à la S1 quattro de rallye de Groupe B qui a connu, elle aussi, de multiples évolutions. A son volant, je retrouve Stéphane Peterhansel, l’une des dernières légendes vivantes du Dakar, et en tout cas l’un des rares à avoir su triompher des pistes piégeuses du Dakar en moto comme en auto, accompagné d’Edouard Boulanger, son copilote. Malgré son excellente condition physique, digne d’un champion de haut niveau ( et c’en est un !), « Monsieur Dakar » comme on le surnomme (14 victoires à son actif !), éprouve quelques difficultés à s’extraire de son cockpit pour le moins exigu… et bien haut perché ! De « retour sur terre », nous échangeons et je lui demande de me faire faire le tour du propriétaire !
« Si le concept de base demeure inchangé, avec un moteur électrique par essieu branché sur une grosse batterie haute tension, alimentée par un convertisseur d’énergie (composé d’un moteur thermique et d’un générateur), les hommes de chez Audi Sport ont tiré les leçons de la première saison, pour faire de ce singulier concept de « buggy propre » une voiture née pour la gagne. Cette fois, nous avons de bonnes raisons d’y croire ! Déjà, signe encourageant, il y a eu une belle victoire au rallye d’Abu-Dhabi, et ce, malgré la présence de sacrés « clients », comme Sébastien Loeb ou Nasser El-Attyiat. Plus nous roulons, et plus nous emmagasinons une précieuse expérience, pour fiabiliser la voiture. L’an passé, notre talon d’Achille se situait au niveau des trains roulants. En fait, nous avons découvert que le moteur thermique qui fait office de générateur, qui tourne en permanence à un régime élevé, générait des fréquences de vibrations qui desserraient des éléments ! Ce problème est désormais derrière nous ! ». Et le challenge du prochain Dakar devant lui !
Régime Weight-Watchers
La période de « déverminage » étant enfin terminée, place aux derniers réglages avant d’affronter le désert du prochain Dakar (du 31 décembre 2022 au 15 janvier 2023), exilé depuis quelques années en… Arabie Saoudite. Sur la forme, difficile de voir comme ça des différences avec la première mouture. Pourtant, selon Axel Löffler, designer en chef de ce gros bébé, tout a été redessiné, avec ce souci constant d’optimiser l’aérodynamisme, gage d’une consommation amoindrie, une loi physique qui vaut tant pour les thermiques que pour les électriques. Ainsi, ce proto E2 présente 15% de traînée en moins. Ce qui est sûr, c’est que s’il n’y avait les 4 Anneaux collés sur le masque avant, bien malin celui qui pourrait raccrocher cet engin doté d’une légère carrosserie en composite à une Audi ! L’effort a aussi porté sur l’habitacle, trop inconfortable au goût des pilotes l’an passé. Sans en faire un cocon digne d’un Q7, il a ainsi gagné en largeur, et il reçoit en plus – fin du fin – une indispensable climatisation. Et chaque voiture s’adapte à son équipage, les sièges étant moulés sur le corps de chacun d’entre eux… et aérés dans le dos.
Les ingénieurs se sont aussi évertués à gagner quelques dizaines de kilos ici et là, pour ramener la masse totale à 2100 kg, comme l’exige désormais le règlement en catégorie T1U. Une « épuration » qui a conduit à retenir des solutions techniques plus simples, comme la greffe de capots latéraux plats, abritant chacun une roue de secours, dotées de nouvelles jantes Rotiform à 10 branches plus faciles à manipuler. Enfin, tout est relatif, chaque roue ayant la taille de celle d’un camion ! Un vérin hydraulique permet par ailleurs de soulever la voiture sans effort cette fois et ce, en une poignée de secondes… pour peu que le sol ne soit pas trop meuble. Fort bien, mais à conduire, il est comment ce proto Audi « E2 » ? Stéphane ne tarit pas d’éloges à son sujet !
« Moi qui ai fait toute ma carrière avec des thermiques, j’avoue que j’étais quelque peu dubitatif au début. Maintenant, je trouve que cet engin est génial à piloter, et le fait qu’il soit électrique présente bien des avantages. Avant, lors d’un franchissement de dune, je devais plus ou moins réfléchir pour savoir quel rapport engager. Désormais, je ne me pose plus de question, puisque la transmission est automatique, et la puissance arrive de façon instantanée. J’essaye donc juste de me concentrer sur mon pilotage. Et sur une auto thermique, on essayait d’avoir une courbe de couple optimale, sur une certaine plage de régime, ce qui occasionnait parfois des nuits blanches aux ingénieurs. Là, je détermine la courbe qui me semble idéale, on entre ces données dans l’ordinateur, puis dans la télémétrie de la voiture et c’est plié ! ». Comme quoi, même en embarquant 400 kg de batteries, rouler en électrique peut aussi réserver du plaisir…
Sous surveillance
Chez Audi, on le voit bien, « l’avance par la technologie » n’est pas qu’un simple slogan. Preuve en est avec ce sport-prototype, soumis aux pires contraintes : celle du désert. Pourtant, la technologie de pointe est omniprésente, et pas que seulement au niveau des moteurs. A l’intérieur du cockpit, l’informatique embarquée, gère presque tout, comme la répartition de la puissance entre les moteurs avant et arrière – qui est paramétrable – mais aussi la recharge des batteries. « Un gros boulot a aussi été effectué sur le « soft ». Sur une électrique de série, la batterie se recharge au lever de pied. Ici, il faut freiner. Mais grâce au générateur, on fait en sorte de toujours conserver au moins 70% de charge, pour prévoir les aléas d’une spéciale, les plus longues faisant près de 600 km ». Une manière de rappeler que ce proto n’est pas 100% électrique, et qu’une association judicieuse avec un petit bloc thermique – en tant que générateur – est peut-être la solution d’avenir à retenir.
Car ne soyons pas dupes, si Audi aligne un tel concept sur les pistes du Dakar, c’est bien pour faire oublier le scandale du dieselgate, et promouvoir l’électrique, qui deviendra d’ici quelques années la seule énergie disponible chez le constructeur. Reste une question en suspens qui me brûle les lèvres. La raison d’être d’un tel engin est d’abord sa vocation « écologique ». Est-il vraiment plus vertueux qu’un sport-proto gavé à l’essence ? A ce sujet, Stéphane est sans ambiguité. « Nous consommons, à performances comparables, 30 à 40% de carburant en moins ». Voilà un argument de poids en course… comme dans le civil. Pour parfaire sa copie, Audi va engager ses prototypes au rallye du Maroc en octobre, ce qui permettra aux autres équipages composés d’« El Matador » Carlos Sainz (avec Lucas Cruz) et Mathias Ekström (avec Emil Bergkvist en copilote) de réviser, eux aussi, leurs gammes. Pour nous jouer bientôt, on l’espère, l’air entêtant du groupe Queen « We Are The Champions » !