Quoi qu’on en dise le Dakar reste une formidable aventure humaine et technique, même si tout s’est professionnalisé, avec de grosses écuries venant y défendre leurs couleurs. C’est le cas d’Audi qui, très ambitieux, a engagé cette année 3 prototypes hybrides. Une première risquée… mais très prometteuse…
Par thomas Riaud, photos DR
Peu de personnes le savent, mais ce n’est pas la première fois que l’on voit des Audi sur un Paris-Dakar. Sur un Paris-Alger-Dakar en l’occurrence, et c’était encore du temps du regretté Thierry Sabine en 1985, avec trois Ur quattro A2 préparées par Audi Sport, engagées par VAG France et sponsorisées par Malardeau. Mieux, chaque auto bénéficiait d’un équipage rompu à l’exercice, avec Bernard Darniche et Alain Mahé, Xavier Lapeyre et José Lourseau, et enfin Hubert Rigal et Gérard Déry. Mais briller en rallye est une chose, faire de même en rallye-raid en est une autre. Bien que sérieusement préparées par Fred Stadler, gérant de la société ROC Compétition, ces quattro très spéciales surélevées de 20 cm (avec soubassements carénés), poussées à 330 ch (avec un système de refroidissement optimisé), n’arriveront pas à convaincre. Après des débuts tonitruants, les quattro vont une à une abandonner pour problèmes techniques ou devoir lever le pied, à commencer par celle de Darniche, à quelques kilomètres seulement du fameux arbre du Ténéré (sur pont arrière cassé). Celle de Lapeyre et Lourseau lâchera beaucoup de terrain, sur joint de culasse endommagé, arrivant tout de même à Dakar à la 17ème place au général mais avec plus de 42 h de retard sur le Mitsubishi Pajero victorieux ! Quant à celle de l’équipage Rigal -Déry, elle terminera aussi, mais loin, très loin des leaders, à la 37ème place ! Voilà pour le volet historique. Quelques 37 années ont passé, et cette année, Audi revient au Dakar avec 3 nouvelles voitures.
Mais entre-temps, on a changé de monde. Le Dakar ne part plus de Paris place de la Concorde et ne se dispute plus en Afrique, mais se déroule désormais au Moyen-Orient… En Arabie Saoudite ! Et les voitures étant injustement accusées de tous les maux par une bien-pensance « verte », chaque constructeur est sommé de réduire drastiquement les émissions de CO2, seul critère pris en compte par nos « élites » politiques pour déterminer la nocivité d’une automobile ! La solution retenue passe par une électrification, chose déjà compliquée sur une auto de série, mais alors, imaginez sur une voiture de course. C’est pourtant le pari fou fait par Audi qui a engagé 3 voitures, comme en 1985. Mais cette fois, il s’agit de prototypes totalement inédits, tant sur la forme que le fond, puisque chaque Audi RS Q e-tron a tout d’une incroyable usine à gaz ! Chaque auto renferme 2 moteurs électriques (un par essieu, issus de la Formule E), alimentés par une grosse batterie de 50 kWh rechargée en permanence au moyen d’un puissant 2.0 TFSI issu du DTM (Championnat de SuperTourisme Allemand), qui fait office de générateur (en tournant entre 4500 et 6000 tr/mn), seule solution viable pour offrir jusqu’à 800 km d’autonomie. La puissance cumulée estimée est de l’ordre de 670 ch, avec un 0 à 100 km/h pulvérisé en seulement 4,5 sec. Nous avons pu approcher en statique en décembre, en vrai, l’un de ces monstres, et ce qui nous a frappé est la petitesse de l’habitacle rapporté au gabarit de ces engins XXL, semblables à des gros buggys sortant d’un film de Science-Fiction !
Né d’une feuille blanche
Et nous avions même pu à cette occasion échanger avec Peterhansel, Mr Dakar himself (15 victoires au Dakar !), qui me confiait ses inquiétudes quant au poids important de la voiture, générant plus d’inertie dans les virages, mais surtout sa complexité technique. Forcément, embarquer 3 moteurs, c’est multiplier les pannes potentielles d’autant ! Par ailleurs, Stéphane Peterhansel regrettait de n’avoir pas eu assez de temps pour essayer la voiture et de n’avoir pu effectuer « que » 8000 km de tests ces 6 derniers mois. Voilà un kilométrage pouvant paraître énorme pour le commun des mortels, mais jugé trop juste pour un pro de la trempe de Peterhansel, surtout lorsqu’il s’agit d’engager une auto aussi innovante, née d’une page blanche, qui a tout à prouver. Un scepticisme bien légitime partagé par ses autres équipiers, une véritable dream-team constituée de Carlos Sainz en pilote sur la deuxième auto et de Mattias Ekstrom (double vainqueur en DTM) sur la troisième. Et même Audi Sport, parfaitement conscient de l’incroyable défi qui l’attendait en tant que « rookie », s’était prudemment fixé comme challenge de terminer au moins l’épreuve. Un objectif raisonnable visé par Sven Quandt, manager de la très expérimentée équipe X Raid, maintes et maintes fois victorieuse au Dakar. Il est vrai que pour Audi, cette édition 2022 servait d’abord à valider des choix techniques audacieux et avant-gardistes, la voiture ayant été développée en à peine 12 mois ! Aujourd’hui, le Dakar est terminé, les jeux sont faits est on a assez de recul pour vous dire que… ces Audi ont su surprendre, là où on ne les attendait pas. Une chose est sûre : il faudra compter avec elles l’année prochaine !
Privé de désert
Pourtant, tout avait très mal commencé, notamment pour le favori Stéphane Peterhansel, qui a littéralement arraché la moitié du train arrière à pleine vitesse dès la première étape ! Une avarie grave, ruinant d’emblée tout espoir de victoire au général pour Monsieur Dakar, relégué au fin fond du classement. Pire, il sera même par son retard disqualifié, annulant d’emblée tout espoir de victoire. Mais en ayant l’autorisation de pouvoir continuer à rouler dans la course, « Peter » s’est retrouvé condamné à jouer les Saint-Bernard pour soutenir ses autres équipiers, à peine mieux placés à cause de grosses erreurs de navigation. Sans compter d’autres casses, toujours sur les trains roulants, contraignant Perterhansel à prélever sur une autre étape un amortisseur sur son auto pour le donner à Carlos Sainz, signe que la faiblesse de ces protos se situent, contre toute attente, bien au niveau des trains roulants, et non des moteurs. Un sacrifice qui ne sera pas vain, permettant à « el matador » de faire briller Audi sur ce rallye-raid. Et même davantage, Carlos Sainz s’adjugeant une première victoire dans la 3ème étape, que l’on peut qualifier d’historique dans la mesure où c’est la première fois qu’une voiture « électrique » s’illustrait au Dakar ! Après avoir mis l’hybride au premier plan au Mans, Audi fait donc de même sur l’épreuve la plus prestigieuse en rallye-raid.
Car Audi ne s’est pas limité à une simple victoire d’étape. On peut en compter une autre, signée Mattias Ekstrom cette fois, dans la 8ème spéciale, et même une de plus au crédit de Sainz. Et libéré de toute pression, Stéphane Peterhansel s’est lui aussi fait plaisir et a lavé l’affront, en s’adjugeant la 10ème étape longue de 759 km (dont 375 km de spéciale), un podium complété par Carlos Sainz à la seconde place cette fois, et l’argentin Orlando Terranova (BRX Hunter). Et notons qu’au passage, avec ce 49ème scratch, le français s’approche du record toujours détenu par un certain Ari Vatanen, comptant seulement une victoire de plus au compteur. Au final, pour cette grande première qui a tout d’un rodage en conditions réelles (et extrêmes !), Audi a fait mieux que participer, puisque la voiture d’Ekstrom (n°224) s’est classée 9ème au général, celle de Sainz (n°202) 12ème. Le mot de la fin sera pour Stéphane Perterhansel (non classé), mis KO dès la première étape : « cette année on a confirmé la performance de l’Audi RS Q e-tron. Et ça fait du bien au moral, surtout après un début de rallye compliqué. On doit gagner en 2023, il n’y a pas d’autre solution. Il faut en tout cas qu’on soit prêt ». Nous, on est d’ores et déjà partant pour suivre cette incroyable aventure dès l’année prochaine !