L’Audi quattro, ce n’est pas qu’une ligne et un fabuleux 5 cylindres turbo de 200 ch. C’est aussi – et d’abord – une transmission intégrale permanente, celle-là même qui lui donnera son nom. A tel point qu’aujourd’hui, « Audi est quattro et quattro est Audi ». La preuve par 4 à travers cet essai…
Par Joseph Bonabaud, photos Jack Seller et DR
En bref
Audi quattro « Type MB »
Moteur 5 cyl. 2.2 200 ch
Production limitée de 1987 à 1989, à 600 exemplaires environ
Performances : 222 km/h, 0 à 100 km/h en 6,7 sec
Parfois, les idées les plus simples paraissent si évidentes qu’on se demande bien pourquoi personne n’y a songé plus tôt ? Avec le recul, c’est ce qu’on se dit en observant l’Audi quattro. Avant, sur une voiture de tourisme, les choses étaient simples : la puissance était transmise, soit aux roues avant, soit aux roues arrière. Mais ça c’était avant. Avant que, durant des essais « winter » effectués par Audi dans le Grand Nord en plein hiver pour tester sa future 100, toutes les voitures ne se plantent dans la neige. Y compris la nouvelle berline aux anneaux. Toutes les voitures, sauf une : le Volkswagen Iltis de l’assistance, un petit 4×4 à moteur Audi aussi léger qu’agile. Cet épisode sera, selon la légende, rapporté aux oreilles attentives de Ferdinand Piëch, alors responsable du bureau d’étude Audi. Et l’idée de greffer la transmission de l’Iltis sur une voiture de tourisme fera rapidement son chemin. Les premiers prototypes roulants, développés à partir d’une Audi 80, se monteront si prometteurs en conditions difficiles que Piëch aura rapidement la conviction d’être sur la bonne piste. Et accessoirement, de bientôt être en mesure de proposer un avantage technique décisif et exclusif, à même de bousculer sérieusement BMW et Mercedes. La suite, vous la connaissez : cela donnera la naissance de l’Audi quattro, dévoilée au grand public au salon de Genève le 3 mars 1980. La révolution était en marche…
La révolution en marche
Pour parvenir à ses fins sans ruiner la jeune marque dont il présidait la destinée, Ferdinand Piëch a conçu un génial Meccano à partir d’un maximum d’éléments techniques déjà existants. Ainsi, l’Ur quattro est bâtie sur une plateforme modifiée d’Audi 80 de seconde génération, les trains roulants et la boîte de vitesses manuelle à 5 rapports proviennent de la grosse 200 (lancée en 1979), tout comme le moteur, le fameux 5 cylindres 2.1 turbo, sauf que pour gagner encore en performance, il est revu et corrigé pour passer de 170 à 200 ch. Bien sûr, la carrosserie est exclusive, mais pour rentabiliser pleinement l’investissement, il est décidé de la partager également avec le futur Coupé GT. Ce modèle d’entrée de gamme est en effet identique sur la forme à l’Ur quattro, si l’on fait exception des ailes bombées et de la calandre 4 phares. Enfin, la transmission intégrale permanente provient du… Volkswagen Iltis, celui-là même qui avait bluffé son monde dans la neige durant les essais « Grand Froid » effectués en Laponie.
C’est ainsi pourvue que débarque la première Audi quattro (type WR), un modèle révolutionnaire capable de plus de 220 km/h en pointe qui… passera inaperçu ! Audi est encore une petite marque en devenir, et personne n’imagine un instant le potentiel extraordinaire offert par ce grand coupé bourgeois au look plus sérieux que réellement élégant. Ce cruel déficit de notoriété, Piëch va brillamment le gommer en faisant appel à la jeune cellule Audi Sport, chargée de développer la quattro pour un engagement en rallye. La FIA (Fédération Internationale de l’Automobile) n’y voit rien à redire malgré la présence incongrue de 4 roues motrices et, très tôt, la nouvelle Audi quattro va se distinguer et creuser l’écart sur la concurrence. Creuser l’écart et même triompher, en remportant dès 1982 le Championnat du Monde des Rallyes ! Piëch a atteint son objectif : Audi est connu et reconnu à travers le monde grâce à la technologie quattro. Une technologie novatrice portée au début des années 80 par la seule Audi quattro. Si Piëch va judicieusement développer sa transmission magique en l’introduisant progressivement sur quasiment toute la gamme, pour démocratiser cette technologie, il sait qu’il va falloir aussi faire évoluer son coupé fétiche.
C’est ce que notre Ur quattro fera, presque continuellement, jusqu’à son retrait en 1991. Ainsi, dès 1983, notre coupé culte abandonne ses 4 petits phares carrés au profit d’optiques monoblocs, tandis que l’ABS fait son apparition. A partir de 1985, l’aérodynamique est optimisée légèrement au moyen d’une calandre inclinée, tandis que la voiture reçoit des jantes plus larges. Dès 1987, la type MB fait son apparition, le 5 cylindres 10v étant porté de 2.1 à 2.2 litres. Malgré une puissance inchangée, toujours fixée à 200 ch, la souplesse y gagne sensiblement, tandis que le taux de compression du moteur passe de 7 :1 à 8,6 :1. Cela ne vous parle pas ? Pour faire simple, c’est mieux en agrément, à commencer par les accélérations, en hausse sensible (0 à 100 km/h en 6,7 sec, contre 7,1 sec auparavant). Quant à la transmission intégrale, elle adopte un différentiel Torsen renforçant la motricité en utilisation courante, remplaçant ainsi l’ancien blocage manuel. Les freins à disques sont également améliorés, avec des étriers à 2 pistons. Des modifications qui profitent à notre sublime exemplaire de 1988. A un an prêt, il recevait l’ultime évolution, avec le 2.2 porté à 220 ch grâce à sa culasse à 20 soupapes (type RR) ! Mais ne boudons pas notre plaisir…
Moulin rouge
Etre déçu serait honteux, car se trouver en présence d’un exemplaire affichant moins de 90 000 km certifiés, dans ce rouge vif immaculé, n’est pas chose courante. Il faut dire qu’il provient des réserves d’Audi Tradition. Et pour que le bonheur soit total, il m’est proposé de l’essayer sur une route de montagne, un terrain de jeu idéal pour tester une Audi sportive dotée du quattro. Prendre place à bord crée toujours un choc, avec le sentiment de voyager dans le temps. Je retrouve ainsi les compteurs digitaux orange, propres aux MB, avec le compte-tours à gauche avec l’affichage de l’ordinateur de bord, la vitesse figurant en bonne place dans la ligne du regard. Enfin, à droite de ce « cockpit virtuel » avant l’heure, on trouve des informations annexes bien utiles, notamment la température d’eau, l’heure ou la jauge à carburant. Un élément qui a son importance sur une auto sirotant sans peine plus de 14 l/100 km ! Le traitement de l’intérieur, très « schwartz », n’invite pas à la gaudriole. Tout le mobilier semble taillé à la serpe, mais cette austérité est justifiée dans la mesure où on trouve une qualité de fabrication au-dessus du lot et une ergonomie sans faille. Pour justifier un prix rondelet fixé à plus de 357 000 Francs, la dotation apparaît comme complète, surtout sur cet exemplaire bénéficiant de la sellerie cuir optionnelle, puisqu’on trouve notamment la hi-fi Audi, l’ABS déconnectable, l’ordinateur de bord ainsi que la climatisation. Quant aux blocages du différentiel, ils s’effectuent désormais via des boutons électriques, et non plus par les anciennes tirettes.
Maintien des sièges bien étudié, prises en main idéale de la jante épaisse du gros volant à 4 branches et position de conduite parfaite donnent le « La », en laissant augurer que vous allez vivre un grand moment de conduite. Mais c’est bien en tournant la clé de contact que la magie opère. Le 5 cylindres semble s’éclaircir doucement la voix, puis vous envoûte avec son grain si particulier, évoluant en fonction des montées en régime… et de l’enclenchement du turbo KKK, ce dernier ajoutant un sifflement caractéristique très agréable. On n’est pas du tout dans le registre du fameux « coup de pied au cul », le turbo envoyant la sauce de manière progressive, ce qui est du reste plutôt agréable, car on a des ressources partout, tout le temps, à tous les régimes, avec une belle santé affichée au-delà des 3000 tr/mn. Imperturbable, l’Audi quattro vire à plat et semble se régaler des virages qui s’offrent à elle, goulûment, avec une certaine frénésie insatiable. Les 200 ch passent au sol avec indifférence, et ce, malgré des conditions d’adhérence changeantes, de l’humidité traître résidant parfois au sol dans les zones ombragées. Mais qu’importe. A chaque sortie de virage, la quattro vous tire vigoureusement vers l’avant et le pied droit peut entrer sans retenue avec la moquette, on sait que « ça passe crème ». En outre, tout est parfaitement calibré, avec une direction précise, une boîte bien guidée et des freins efficaces. « Efficace », voilà en un mot ce qui caractérise cette voiture. Car oui, en effet, Audi est quattro et quattro est Audi !
L’avis d’Avus
Alors oui, bien sûr, un Ur quattro MB, on connaissait déjà, mais avoir la chance d’essayer un exemplaire aussi frais sur un tracé aussi exigeant nous a permis de l’apprécier à sa plus juste valeur, et de se rappeler à quel point cette Audi est passionnante à conduire. Il lui manque juste, pour séduire tout à fait le non initié, une petite touche de glamour et de « fun » à la conduite. Des ingrédients essentiels qu’Audi saura ajouter année après année sur tous ses modèles…
On aime
Voiture culte !
Qualité de construction
Performances
Efficacité, agrément de conduite
Vraie GT 4 places
On aime moins
Modèle rare
Prix en hausse constante
Pièces spécifiques introuvables
Souvent rincées
Conduite pas très fun
Caractéristiques techniques : Audi « Ur quattro » 10v type « MB », 1988
Moteur : 5 cylindres en ligne type « MB », 10v, 2226 cm3, avec turbo
Alimentation : à injection mécanique Bosch K-Jetronic + turbo compresseur
Puissance maxi (ch à tr/mn) : 200 à 5800
Couple maxi (Nm à tr/mn) : 270 à 3000
Transmission : intégrale, boîte mécanique à 5 rapports (avec différentiel intégré à l’avant)
Suspension AV : à jambes de force avec ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques.
Suspension AR : à jambes de force avec ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques.
Freins : 4 disques (ventilés à l’avant), répartiteur de freinage, ABS.
Dimensions (L x l x h) en m : 4,40 x 1,72 x 1,34
Empattement (en m) : 2,52
Voies AV/AR (en m) : 1,42 / 1,45
Poids (kg) : 1300
Pneus (AV / AR) : 215/50 VR 15
Performances
Vitesse maxi (km/h) : 222 environ
0 à 100 km/h (sec) : 6,7