Du quattro à Gogo !
Après avoir fait l’éclatante démonstration de la supériorité du quattro en rallye, Audi passe à la deuxième phase de son plan en ayant l’intelligence d’appliquer progressivement sa transmission magique à l’ensemble de sa gamme. Retour sur les modèles les plus marquants…
Par Jack Seller, photos DR et Avus
Lorsque Piëch arrive chez Audi en 1972, la jeune marque aux anneaux, relancée seulement rappelons-le en 1965, est déjà en phase de reconquête avec quelques voitures intéressantes et inédites, qui n’ont plus rien à voir avec d’antiques DKW F102 « modernisées » à la hâte. Le premier étage de cette fusée est bien sûr la statutaire berline 100 lancée en 1968, secondée dès l’année suivante par un sublime coupé 100S. Et en 1972, Audi frappe un grand coup en lançant la petite berline 80, qui sera d’ailleurs élue « voiture de l’année » ! Donc, quand Piëch arrive, il s’est déjà passé de grandes choses, mais tout ceci reste encore bien insuffisant pour espérer, comme il le souhaite, rivaliser avec Mercedes et BMW.
Pour y parvenir, il milite (et conçoit personnellement) activement pour le développement d’un moteur inédit à 5 cylindres, une architecture peu commune qui, grâce à une cylindrée plus importante, présente l’avantage d’offrir naturellement plus de « coffre » qu’un simple 4 cylindres, et donc plus de couple et de souplesse, mais qui peut aussi supporter de fortes puissances, tout en restant plus compact et léger qu’un 6 ou 8 cylindres. Bref, dans sa quête du haut de gamme, ce 5 cylindres apparaît comme le bloc idéal ! Etrenné discrètement par la placide Audi 100 « 5 S» de seconde génération lancée en 1976 (qui sera rebadgée VW pour devenir la première Passat !), ce bloc de 136 ch et à injection séduit d’emblée par son agrément et sa consommation maîtrisée. Mais il ne gagnera véritablement tout son panache qu’à partir de 1979 sur l’ambitieuse nouvelle berline 200, grâce à l’adoption d’un turbo, une autre technologie d’avenir soutenue par Piëch. De cette 200 turbo de 170 ch, statutaire, bien équipée et très rapide, Piëch aurait pu pleinement satisfait. Mais c’est mal connaître notre homme…
Le 5 cylindres, toujours agrémenté par un turbo, repassera tout de même par la case « bureau d’études » pour gagner en cylindrée et quelques chevaux, assez pour atteindre le seuil, ô combien symbolique, des 200 ch. C’est bien sûr cette version du « 5 pattes » qui donnera dès 1980 tout le sel à l’Audi quattro, équipée comme son nom l’indique, pour la première fois, de la transmission intégrale magique. Mais l’ogre Piëch en veut toujours plus, et son coup de génie sera véritablement de « démocratiser » au sein de la gamme Audi la transmission quattro, en l’associant toutefois aux motorisations les plus nobles. Un cocktail détonnant, issu véritablement de « l’avance par la technologie », qui permettra à Audi de rejoindre enfin BMW et Mercedes. Flash-back sur cette formidable ascension à travers quelques Audi mythiques devenues cultes…
1978 : Audi 80 « Mk2 »
Elue « voiture de l’année 1973 », la première Audi 80 a été un véritable succès commercial. Autant dire que la seconde mouture, lancée en 1978, n’a pas le droit de décevoir et est attendue au tournant. Sur le plan du style, sans être un canon de beauté, cette berline de 4m38 de long s’inscrit parfaitement dans les tendances de l’époque, en adoptant une caisse pour le moins rectiligne, très « Années 80 ». Si la variante GT équipée du 1.6 de 110 ch qui fait le bonheur d’une certaine Golf GTI est déjà très séduisante à l’usage grâce à un poids modéré (950 kg !), Audi crée la surprise en 1981, en implantant le 5 cylindres 2.2 de 136 ch de la grosse berline 100, mais aussi la fameuse transmission intégrale quattro, la plateforme ayant été prévue pour ça. Dotée de belles jantes en alliage, mais aussi d’un bouclier spécifique et d’un aileron de coffre, la 80 quattro se pose ainsi comme la petite berline la plus efficace et performante de l’époque (195 km/h), venant chasser sur les terres de la BMW Série 3.
1982 : Audi 100 – 200 « Type C3 »
Voilà encore une Audi très innovante qui doit beaucoup à Piëch. A la fin des années 70, lorsque la future berline 100 (et sa sœur 200) est en gestation (type C3), il est acquis que la chasse au gaspi sera un puissant levier de vente auprès du public. Et pour réduire les consommations, il n’y a pas 36 solutions : soit faire un petit moteur peu puissant et de faible cylindrée, chose inconcevable pour une grande routière, soit faire une auto légère, ce qui reste là encore compliqué, ces matériaux le permettant (aluminium, carbone…) restant chers. Dernière option : jouer sur l’aérodynamisme ! C’est cette voie qui sera privilégiée, tout étant fait pour favoriser la pénétration dans l’air. Elue « voiture de l’année » 1983, cette Audi 100 de 3ème génération à la carrosserie très fluide (déclinée en break) se verra greffer, à partir de septembre 1984, la transmission quattro avec un 2.2 de 138 ch. Sa sœur siamoise, la plus cossue 200, monte le curseur bien plus haut en recevant le moteur de la quattro 20v, un formidable 5 cylindres 2.2 turbo de 220 ch, lui permettant de devenir la berline la plus rapide du monde avec 241 km/h en pointe !
1984 : Audi GT
Pour démocratiser sa fameuse Audi quattro, le constructeur sort opportunément la plus abordable GT. Celle-ci est quasiment identique à l’Ur quattro, sauf qu’elle est moins musclée sur la forme (ailes « plates » au lieu des ailes bombées) et sur le fond, puisque son plus gros 5 cylindres, privé de turbo, ne développe que 136 ch. Mais l’Audi GT a droit dans cette configuration à la transmission quattro, et grâce à son poids contenu, elle offre à bon compte des performances très honorables et cette efficacité qui était si rare à l’époque…
1984 : Audi Sport quattro
Dès 1983, l’Ur quattro commence déjà à être techniquement dépassée en rallye, la voiture étant lourde, encombrante et sous-vireuse avec son moteur implanté en porte-à-faux à l’avant. Face à l’arrivée de la Peugeot 205 Turbo 16, plus agile et tout aussi performante et efficace, il est urgent de réagir. Walter Treser, en charge d’Audi Sport, suggère à Piëch de concevoir une auto entièrement nouvelle, en implantant le 5 cylindres turbo en position centrale arrière. C’est évidemment la bonne solution technique (voir l’incroyable proto conçu secrètement dans le chapitre « la quattro en compétition »), mais Piëch, qui n’a pas que des qualités, s’entête et exige que la nouvelle voiture ressemble autant que possible à la quattro vendue dans le commerce. Il en résulte cette étrange Sport quattro, produite à seulement 214 exemplaires en version « stradale » pour les besoins de l’homologation en Groupe B. Avec son 5 cylindres poussé à 306 ch et un prix de vente proche de celui d’une Ferrari (750 000 Francs !), la Sport quattro se pose comme la première supercar d’Audi. En rallye, son double baptisé S1 quattro se révèle instable à haute vitesse. Elle se verra au fil des saisons dotée d’énormes spoilers et ailerons (au point d’être surnommée « le monstre ») jusqu’à son retrait, en 1986.
1994 : Audi RS2
Désolé de se répéter, mais l’improbable RS2 est née, elle aussi, essentiellement grâce à Ferdinand Piëch. Et en plus d’avoir imaginé le concept de break sportif, vraiment novateur pour l’époque, elle n’aurait pas pu se faire sans son intervention, en haut lieu chez Porsche, son ancien employeur. Car si Audi fournit l’essentiel, à savoir la caisse de break 80 Avant, mais aussi le bloc moteur, le fameux 5 cylindres 2.2 « turbo », sans oublier bien sûr la transmission intégrale quattro, tout le reste est développé par Porsche. Le moteur est sérieusement revu, au point de passer de 220 à 315 ch, tandis que de nombreux éléments proviennent de la Porsche…911 de l’époque ! C’est le cas des sièges Recaro avant, des jantes « Cup », des rétroviseurs ou du bouclier avant. Malgré un prix de vente très élevé pour l’époque supérieur à 420 000 Francs, l’innovante RS2, bien que produite à seulement 2900 exemplaires, saura trouver son public. Et ouvrir la longue lignée des prestigieuses Audi RS…
1996 : Audi S6 Plus
Galvanisé par le succès de l’éphémère RS2, Audi décide de remettre le couvert mais un cran au-dessus, en faisant de même à partir de la première A6, un clone de l’ultime 100 lancé en 1994. Mais contrairement à la RS2, développée conjointement avec Porsche, Audi est cette fois prié de se débrouiller tout seul. Et d’abandonner au passage le label « RS », revendiqué par Porsche… Le nom retenu sera donc S6 Plus, et sera attribué tant à la version berline qu’au break Avant. Dans les 2 cas, la voiture bénéficie d’une dotation archi-complète et spécifique, avec une sellerie mixant du cuir et de l’alcantara (couleur carrosserie !), tandis qu’en mécanique, outre la transmission quattro, on retrouve un guttural V8 32 soupapes de 326 ch, couplé exclusivement à une boîte mécanique à 6 rapports. La suite, vous la connaissez : ce concept de gros break surmotorisé fera son chemin, sous le nom de RS6…
1992 : Audi S2 Coupé
Curieusement, cette auto baptisée sobrement « Audi coupé », succède à l’Ur quattro en 1988, sauf que cette dernière, bien que vieillissante, reste encore en production. Elles cohabiteront d’ailleurs ainsi jusqu’en 1991 ! Mais les amateurs de sportivité n’auront pas longtemps à attendre, puisque cette Audi coupé héritera, dès l’année suivante, du fantastique moteur de son ancêtre Ur quattro, dans sa dernière évolution (5 cylindres 2.2 20v 220 ch). Et de la transmission intégrale permanente, cela va sans dire. Sans révolutionner le genre, celle que l’on nommera S2 Coupé dans cette configuration creuse un peu plus le sillon de sa devancière. Et elle améliore légèrement la copie en montant le curseur, à partir de 1994, à 230 ch…
1997 : Audi S8
La grosse 200 5T lancée en 1979 posait une première pierre. La plus opulente et luxueuse V8 apparue en 1988 est venue confirmer les intentions d’Audi de venir chasser sur les terres des luxueuses Mercedes Classe S et BMW Série 7. Mais cette dernière, bien que pétrie de qualités, restait encore trop classique dans sa conception pour y parvenir. Le coup de génie sera de développer une structure intégralement en aluminium (ASF), autant légère que rigide, tout en peaufinant l’aérodynamisme. Ainsi est née la première A8, une surdouée au royaume des limousines en 1994. Piëch osera bousculer les lignes, dans cette catégorie pourtant très conservatrice, jusqu’à proposer une inédite variante très sportive, baptisée S8. Avec son V8 de 340 ch, ses accélérations sont du genre météorite. Et la sécurité offerte, grâce à la transmission intégrale quattro, se révèle d’un autre monde, qui échappe complètement à ses rivales directes, restées de simples propulsions…
2000 : A6 Allroad Mk1
Commercialisée à partir de 1997, cette nouvelle génération d’A6 étonne par l’incroyable modernité des ses lignes lisses et fluides. Une pureté et sobriété qui concerne aussi le break, lancé un an plus tard. Ce grand break à la finition irréprochable va d’ailleurs bénéficier de quelques exclusivités prescrites par le bon Docteur Piëch. Outre la première RS6 (V8 biturbo de 450 ch), qui succède à la S6 Plus, la gamme s’enrichit à partir de 2000 d’une singulière variante Allroad. Véritable hymne à la transmission intégrale quattro, ce break tout-chemin, doté en plus d’un réducteur, va séduire une clientèle huppée en mal d’aventure. Un concept qui a ses adeptes depuis 20 ans… et 4 générations !
2001 : Audi RS4 « B5 »
Depuis l’OVNI RS2, commercialisé au compte-goutte en 1994 et 1995, Audi n’a plus de break sportif compact dans sa gamme. Une absence insupportable pour Piëch, au point de donner des instructions pour développer sur le tard cette RS4 « B5 » (voiture grise à gauche), la première d’une longue liste ! Et cette fois, c’est le spécialiste Cosworth qui aide Audi à développer le moteur, un volcanique V6 2.7 biturbo de 380 ch ! Un must, à savourer bien sûr avec une bonne vieille « boîte à poigne » à 6 rapports, et la transmission intégrale quattro.
2005 : Audi TT quattro Sport
Avant de proposer l’un des plus beaux coups de crayon du design automobile, le TT est d’abord la résultante de la stratégie payante voulue et mise en place par Piëch, qui pousse à de réelles synergies au sein du groupe Volkswagen pour réduire les coûts. Ainsi, la plate-forme et l’essentielle des mécaniques proviennent de la Golf 3 du moment ! Mais pour apporter la « touche premium » propre à Audi, le TT va se réserver quelques exclusivités supplémentaires, à commencer par la transmission intégrale quattro. Celle-ci sera particulièrement mise en avant en 2005 à travers cette série limitée « quattro Sport » de 240 ch, préparée et assemblée sur une chaîne à part, chez Quattro GmbH, l’officine sportive (devenue depuis Audi Sport) en charge à l’époque des modèles RS.
2007 : Audi R8
Ce n’est un secret pour personne : Ferdinand Piëch était un mégalo aux ambitions presque sans limite. Deux exemples parlants pour étayer ces propos : le parc d’attraction « Autoworld » à la gloire des marques du groupe VW, et la délirante Bugatti Veyron, où le cahier des charges imposait d’utiliser un W16 quadri-turbos de 1001 ch permettant à la voiture de dépasser les 400 km/h. Inutile de dire qu’il y a eu quelques nuits blanches pour les ingénieurs, et ceux qui jugeaient ce projet irréaliste ont depuis été remerciés. Quant à l’Audi R8, Piëch en rêvait depuis au moins 1991, date à laquelle le concept de supercar Avus avait été dévoilé. Ce rêve est devenu réalité en 2007, grâce à une synergie mise en place cette fois avec Lamborghini (Gallardo). Et si la R8 n’est pas parvenue à détrôner la reine des GT, la Porsche 911, elle a su se faire apprécier grâce à sa polyvalence et efficacité, la transmission quattro étant bien sûr du voyage !
2010 : Audi quattro concept
Dévoilé en 2010 au Mondial de Paris, le sublime quattro concept, très proche d’un modèle de série, rendait ouvertement hommage aux 30 ans de la transmission magique, et accessoirement, comme son design taillé à la serpe l’indique, à la mythique Sport quattro. Bâti sur une plateforme de RS5, ce concept renferme par ailleurs le sacro-saint 5 cylindres « turbo » qui fera le bonheur du premier TT RS (puis RS3). Bien sûr, faut-il le préciser, la transmission intégrale quattro est d’office au menu ! Malgré l’intérêt suscité par certains clients, et l’intention pour Audi d’en produire une petite série (on parle alors de 500 exemplaires), ce beau projet sera finalement abandonné en 2012. Mais tout n’a pas été perdu : le « cockpit virtuel » du concept a depuis été largement répandu dans la gamme, et certains éléments stylistiques se retrouvent sur les actuels TT et R8. Maigre consolation…
2012 : Audi A1 quattro
Avant le dieselgate, et galvanisé tant par ses nombreuses victoires en endurance que par ses résultats commerciaux toujours meilleurs, Audi ne touche plus terre et semble « hors sol », au point de proposer une A1 vendue 9000 € plus cher qu’une S3, et presque alignée sur le tarif d’un Porsche Cayman ! Sauf que cette A1 en question tient plus du concept car que de la voiture en série. Produite à la main sur une chaîne à part, elle sera assemblée à seulement 333 exemplaires pour le monde. Outre un look vraiment spécifique, ce collector dispose d’une mécanique de feu puisque le 4 cylindres TFSI est poussé à… 256 ch ! Evidemment, comme son nom l’indique, la transmission quattro est livrée de série, chose utile pour passer toute cette puissance au sol !
2020 : Audi e-tron quattro Sportback
Piëch ayant quitté ses fonctions en 2015 juste avant l’éclatement du dieselgate, il n’a rien à voir dans le développement de la famille « e-tron », mais sa fonction fait qu’il ne pouvait ignorer l’orientation stratégique prise par Audi. Etait-il d’accord ? Mystère… Mais ce qui est sûr, c’est que son héritage technologique n’est pas perdu. La preuve, les SUV e-tron et e-tron Sportback (en photo), utilisent chacun la transmission quattro, même si celle-ci est ici bien différente, puisqu’elle est assurée grâce à l’implantation d’un moteur électrique par essieu ! Seule certitude : hier, Audi était quattro, demain, Audi sera quattro…