Génie civil
Au fil des courses en rallye, il est acquis que la lourde et encombrante Audi quattro, bâtie d’abord comme une luxueuse GT, manque naturellement d’agilité et de maniabilité. En vue du très permissif et imminent « Groupe B », Audi revoit de fond en comble sa GT pour en faire l’arme absolue : la radicale Sport quattro !
Par Jack Seller, photos Thomas Riaud et DR
En bref
Modèle construit pour une homologation en Groupe B
Version stradale faite à 214 exemplaires
Moteur : 5 cylindres 2.2 306 ch
Cote 2020 : 350 000 € environ
Attention : vous avez devant les yeux la première supercar Audi ! Bien plus exclusive qu’une R8, puisque construite à seulement 214 exemplaires, la rarissime Sport quattro n’est pas née pour épater la galerie, faire de l’image ou investir le créneau des super-sportives de luxe, mais d’abord pour les besoins empiriques de… la compétition ! En 1983, la quattro est au sommet de son art mais ses faiblesses sont connues, et elle commence déjà à marquer le pas face à une génération de compétitrices bien nées, plus modernes et efficaces. Et l’ouverture du championnat aux fameuses Groupe B, change la donne et remotive les troupes chez Audi pour faire évoluer la voiture. Dans un premier temps, cela reste timide, l’Ur quattro Groupe A devenant la quattro A2. C’est que Piëch a bien quelques idées, mais les mettre en application ne peut pas se faire sur un simple claquement de doigts.
« La Sport quattro n’est pas née pour épater la galerie, faire de l’image ou
investir le créneau des super-sportives de luxe, mais pour les besoins
empiriques de la compétition »
Pour redevenir réellement efficace et compétitif, tout le monde s’accorde à dire, à commencer par les pilotes qui conseillent les têtes pensantes d’Audi Sport, qu’il faut concevoir une voiture bien plus compacte. Roland Gumpert est adepte d’une solution pour le moins radicale, qui consisterait à ne garder que le moteur, le 5 cylindres turbo, et repartir d’une feuille blanche.
Sa grande idée est d’imaginer la future quattro comme un sport-prototype ultra-efficace, avec le moteur implanté au centre de l’auto derrière le pilote, ceci afin de répartir parfaitement les masses. Problème, une telle disposition n’a aucun lien direct avec la quattro vendue dans le commerce, et ça, Piëch ne veut pas en entendre parler. Sa réflexion repose d’abord sur l’engagement d’une auto qui ressemble peu ou prou avec celle qui est vendue dans le commerce. Décision est donc prise de… raccourcir la quattro A2 !
Chéri, j’ai rétréci la quattro !
Le règlement des nouvelles Groupe B, assez tolérant, laissant une totale liberté aux constructeurs, pourvu que l’auto engagée soit produite au minimum à 200 exemplaires pour le « civil ». Une ouverture d’esprit qui va provoquer un sacré « appel d’air » auprès des constructeurs, et pas seulement dans le conduit d’admission des moteurs turbo ! On va assister à l’émergence des voitures « de série » les plus dingues des années 80. En fait, de vraies versions « stradale » de leurs grandes sœurs réservées à la compétition. Cela donnera quelques engins devenus cultes (et hors de prix !), comme les radicales Ford RS 200, Lancia Rally 037 et Delta S4, Métro 6R4 et autres Citroën BX 4TC, sans oublier la célèbre Peugeot 205 T16 ou même la mythique Ferrari 288 GTO.
En version course, ces autos sont de véritables sport-prototypes d’usine, et leurs dérivés « civils », construits à minimum 200 exemplaires donc, sont à peine plus raisonnables. Avec sa Sport quattro, Audi qui figure comme la référence à suivre, ne déroge pas à la règle. Dans les grandes lignes, pour gagner en maniabilité, l’empattement est sauvagement réduit de 30 cm, et tant pis pour les aspects pratiques… et l’esthétique, l’architecture restant identique.
Ainsi, le 5 cylindres turbo demeure toujours aux avant-postes, en porte-à-faux avant… comme sur les Coupés quattro présentés dans les show-rooms de la marque. Sauf qu’il est, pour les circonstances, poussé à 306 ch grâce à l’apport d’un énorme turbo KKK et d’une culasse à 20 soupapes. Et encore, il s’agit là d’une puissance minimum annoncée par le constructeur, car en passant la voiture au banc, on se rend compte que le « 5 pattes » développe plutôt près de 350 ch ! La coque en acier, semblable à un Meccano géant, emprunte quant à elle de nombreux éléments existant déjà chez Audi. Un bricolage de génie, puisque l’habitacle, au niveau des places avant, provient du coach 80, le plancher arrière de la berline 80 quattro, la partie avant de l’Ur quattro (quoique ajourée au niveau de la calandre), tout comme l’arrière d’ailleurs, bien qu’il se trouve sensiblement relevé au niveau de la lunette arrière. La coque est habillée chez le spécialiste Baur d’une carrosserie spécifique vaguement inspirée du Ur quattro.
On vous l’accorde, la Sport quattro n’a pas la grâce ni l’élégance d’une Lancia Stratossignée Bertone. Clairement, on voit bien que tout le budget n’est pas passé dans le poste « design » avec ce look de char d’assaut de compétition (Cx de 0,48 !). Du moins seulement en apparence, dans la mesure où cette silhouette est composée intégralement de kevlar, pour gagner du poids. Résultat : la Sport quattro de série revendique à peine 1300 kg sur la balance, et ce, malgré une présentation soignée et une dotation pléthorique. En effet, outre de superbes sièges Recaro chauffants en cuir et en alcantara (comme sur une RS2 apparue 10 ans plus tard !), cette 2+2 dispose de série d’un autoradio haut de gamme et même d’une direction assistée. De quoi en faire la plus cossue des Groupe B civiles… mais pas la plus abordable, et ce, dans tous les sens du terme !
Bien que présentée au Salon de Francfort 1983, les premières Sport quattro civiles ne seront pourtant livrées qu’à partir de 1985, aux quelques clients prêts à débourser plus de 750 000 Francs de l’époque, soit presque autant qu’une Ferrari ! Entre temps, les rares exemplaires produits font figure de « voitures expérimentales », en étant confiés aux mains expertes de Walter Rhörl ou du Dr Piëch ! Quant à la version de rallye, baptisée S1 quattro, naturellement plus légère et bien plus puissante, elle est engagée en compétition dès la saison 1984. Malgré des résultats honorables, son architecture obsolète ne lui permet pas de lutter efficacement contre la plus efficace et équilibrée 205 T16 qui rafle l’essentiel des victoires.
Paradoxalement, malgré un maigre palmarès, l’Audi Sport quattro reste aujourd’hui une icône absolue pour de nombreux puristes, et elle incarne à elle seule le mythe du Groupe B. Autant dire que prendre les commandes d’un superbe exemplaire plus neuf que neuf, en provenance directe des réserves d’Audi Tradition, reste un privilège rare…
Groupe B comme… Brutal !
Cette GT compacte (4m16), à peine plus longue qu’une Clio, sait recevoir, en disposant de places avant vastes et confortables, au contraire de celles situées à l’arrière, bien symboliques, avec un espace inexistant au niveau des jambes. Tant pis : ici, c’est aux avant-postes que ça se passe ! Le compteur de vitesse, gradué jusqu’à 300 km/h, et le compte-tours, affichant une zone rouge grimpant jusqu’à 9000 tr/mn, donnent une petite idée du potentiel de l’engin.
Un engin conçu pour hisser le pilotage au rang d’art, avec un ABS déconnectable par une simple pression sur un bouton, un lecteur de carte présent côté copilote et une commande permettant de bloquer individuellement les ponts de la transmission quattro (central et arrière). Sur le Sport quattro, les 306 ch (à 6700 tr/mn) annoncés sont un minimum syndical, car les variantes réservées à la compétition pouvaient facilement aligner une écurie de 500 ch, et même bien plus encore, sur l’ultime version « E3 » conçue pour Pikes Peak. Pour l’heure, nous devrons rester raisonnables, je devrais me contenter de la version « de base ».
Pas de quoi porter plainte car dès la mise à feu, je comprends pourquoi cette Audi bénéficie d’une telle aura. Cela ne passe pas par la fiche technique, ni par aucun chiffre, mais plutôt par le conduit auditif. Quelle sonorité mes amis ! Il n’est pas question de parler vulgairement de « bruit », mais plutôt de « musique », tant ce « 5 pattes » chante juste et fort. Equipé d’une culasse double arbre, mais aussi de 4 soupapes par cylindres, d’un énorme turbo KKK (type K 27) et de nombreuses pièces spécifiques issues du département « Audi sport », ce bloc dopé à la « Vorsprung durch Technik » s’en trouve transfiguré. Exception faite de l’embrayage, relativement ferme, ce coupé sait par ailleurs se montrer étonnamment civilisé, en faisant preuve d’une certaine souplesse à bas-régime (337 Nm à 4500 tr/mn).
Mais sa raison d’être est de gravir rageusement la zone rouge du compte-tours, de préférence le plus vite possible. Passé les 4000 tr/mn, le Sport quattro passe du registre « voiture de sport », à celui de « voiture de course ». Dans un grognement à faire vibrer les alentours, accompagné par le sifflement caractéristique du turbo, l’auto bondit à l’assaut de l’horizon. Sur sol sec, tout cela s’opère sans la moindre perte de motricité, ce qui a pour effet immédiat de vous catapulter dans le paysage (0 à 100 km/h en 4,9 sec). La transmission quattro fait son job, en vous ventousant au revêtement, si bien que la borne kilométrique est saluée en moins de 25 secondes (24,7’’). Des temps plus que respectables de nos jours, complètement dingues pour l’époque !
Le comportement a, lui aussi, de quoi donner le sourire, car plus on « tape » dedans, et plus l’auto s’avère légère et facile à placer. Le châssis court obéit au doigt et à l’œil, permettant de balancer le train avant sur la corde, puis de s’en extraire plein gaz. Du moins sur sol sec, car l’empattement court (2m20) génère des réactions assez vives en cas de décrochement brutal, lors d’un changement d’adhérence. Sur une portion verglacée, je dois avouer que je me suis fait surprendre à la remise de gaz, et ce, d’une façon pour le moins… brutale.
Heureusement, la direction, parfaitement calibrée, offre une précision chirurgicale, tandis que les énormes disques ventilés (de 280 mm avec étriers flottants), assurent des décélérations courtes et franches, même si leur endurance n’est pas exemplaire. Il en va de même de votre serviteur, complètement vidé après quelques kilomètres parcourus à son volant en mode « spéciale ». C’est vrai que dans le nom de cet Audi, il y a le mot « sport », et ce n’est pas de la pub mensongère !
L’avis d’Avus
La Sport quattro n’est pas qu’une voiture performante : c’est un mythe, une légende, un phantasme sorti tout droit d’une spéciale de rallye, au beau milieu des années 80 ! Alors certes, c’est vrai, elle n’a pas le physique d’un top modèle signé d’un grand maître transalpin.
Mais elle compense pleinement en offrant une vraie gueule dopée à la testostérone, mais aussi un caractère mécanique incroyable, digne d’une authentique voiture de course, tout en proposant une certaine polyvalence, la Sport quattro sachant même se plier aux bonnes mœurs urbaines si on lui demande gentiment. Son plus gros défaut est sa rareté, à la source d’une cote d’amour qui ne cesse de flamber, les rares exemplaires proposés à la vente s’échangeant, désormais, à près de 350 000 €…
Fiche Technique
Audi Sport quattro, 1984
- Moteur : 5 cylindres en alliage léger, 2133 cm3, avec turbo KKK « K27 »
- Distribution : 2 ACT
- Alimentation : gestion électronique intégrale Bosch L-Jetronic
- Puissance maxi (ch à tr/mn) : 306 à 6700
- Couple maxi (Nm à tr/mn) : 337 à 4500
- Transmission : intégrale, boîte mécanique à 5 rapports
- Suspension : AV Pseudo McPherson, barre stabilisatrice
- Suspension : AR Pseudo McPherson, barre stabilisatrice
- Freins : 4 disques ventilés, ABS.
- Dimensions (L x l x h en m) : 4,16 x 1,78 x 1,34
- Empattement (m) : 2,20
- Voies AV/AR (m) : 1,52 / 1,49
- Poids(kg) : 1300
- Pneus (AV / AR) : 235/45 VR 15
- Vitesse maxi (km/h) : 265 environ
- 0 à 100 km/h : 4,9 sec
- Cote en 2020 : 350 000 € environ en parfait état
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